Syrie : révolution ou coup d’état?

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Alexandre Latsa - Sputnik Afrique
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Alors que l’affaire Pussy Riot n’en finit pas de faire parler d’elle, la condamnation des 3 anarchistes masquées éclipserait presque la terrible guerre civile qui est en train de se jouer en Syrie.

Alors que l’affaire Pussy Riot n’en finit pas de faire parler d’elle, la condamnation des 3 anarchistes masquées éclipserait presque la terrible guerre civile qui est en train de se jouer en Syrie. Alors que le printemps arabe de 2011 frappe nombre de pays au proche et moyen orient, la Syrie n’est pas non plus épargnée. Dès le début 2011, comme en Tunisie, un jeune Syrien du nom d’Hasan Ali Akleh s’immole par le feu.

Dès le mois d’avril 2011, la situation se complique sensiblement, des clashs violents opposent les manifestants à l’armée Syrienne. Malgré de nombreux gestes et mesures de l’état Syrien à cette période pour tenter de résorber les tensions sociales (baisse des taxes sur les produits alimentaires, embauche de fonctionnaires, non instauration de la TVA ou encore création de fonds sociaux pour aider les plus démunis…), la tension continue d’augmenter et les manifestations gagnent en intensité dans tout le pays. La Syrie connait durant ce printemps 2011 son printemps arabe.

Dès l’été 2011 des soldats démissionnaires créent l’Armée Syrienne Libre (ASL), et les affrontements avec l’armée Syrienne deviennent meurtriers. A cette époque se crée également une hypothétique structure d’opposition : les comités locaux de coordination pour l'avenir politique de la Syrie, qui aboutiront à la création en octobre 2011 en Turquie du Conseil National Syrien (CNS), majoritairement sous domination des frères musulmans.

Le conseil National Syrien deviendra rapidement (dès novembre 2011) la branche politique de l’ASL, et il installe sa base en Turquie. Dès le début de l’année 2012 Le CNS propose aux occidentaux de lancer une campagne de frappes aériennes préventives et verse des salaires aux combattants Syriens qui affrontent l’armée régulière Syrienne. 2012 marquera une intensification des violences et le début d’une guerre civile et politique en Syrie. En avril 2012, l’ONU met en place une mission destinée à faire cesser les hostilités, le plan Annan, qui n’aboutira pas. Dans le même temps sur le plan diplomatique et depuis le début de la contestation en Syrie, la Russie et la Chine ont, chacune, opposé trois vétos aux tentatives de l’ONU de faire pression sur Damas. Bien sur le Main-Stream médiatique ne retient que le veto Russe, suspectant la Russie de soutenir encore une fois un dictateur, comme ce fut le cas en Libye. En réalité la position diplomatique russe est beaucoup plus subtile que cela et surtout elle semble prendre en compte certains équilibres géostratégiques régionaux essentiels.

Les Russes et les Chinois forment au sein des BRICS une sorte de tandem diplomatique. Ils opposent à une vision interventionniste dans les affaires du monde, leur vision, basée sur la non ingérence et la souveraineté nationale. Il s’agit d’un affrontement entre deux conceptions du monde : l’une unipolaire et l’autre multipolaire. Pour la Chine, et la Russie, les expériences Afghanes, Irakiennes et Libyennes sont loin d’être des réussites, au contraire, les interventions militaires occidentales n’ont fait que contribuer à la destruction des états visés. C’est le cas de l’Afghanistan (absolument pas pacifié), de l’Irak (scindé de facto en trois) et de la Libye, désormais sous contrôle d’islamistes radicaux dont les supplétifs affluent pour se battre en Syrie, déstabilisant un état voisin.

En outre ni Russes ni Chinois ne souhaitent voir se réitérer l’option Libyenne ou leur non opposition aux sanctions contre le régime Libyen a abouti à une intervention militaire, non pas cantonnée à empêcher un massacre a Benghazi, mais à une guerre ouverte pour renverser Kadhafi. Comme le précise Pascal Boniface : " à ce moment Russes et Chinois mais également les autres grandes nations du Sud ont estimé qu'ils avaient été trahis d'où la persistance de leur refus d'une nouvelle décision du Conseil de sécurité".

La Syrie Baasiste de Bashar-El-Assad est un état musulman laïc et autoritaire. Contestable comme beaucoup d’autres dans la région, ce régime politique présente néanmoins d’indéniables points forts. La minorité Chiite Alaouite à laquelle appartient le président a su jusqu’à présent imposer une cohabitation pacifique entre toutes les religions en réprimant d’une main de fer les extrémistes islamiques, et protégeant les nombreuses minorités présentes dans le pays, à savoir 30 à 35% de la population. Les 65 ou 70% restants sont des musulmans sunnites au sein desquels existe une minorité extrémiste des frères musulmans, qui a pris le contrôle politique de la résistance Syrienne. Cette tendance ne représente pourtant pas la majorité des sunnites, ni même celle des opposants au régime Assad.

Dès lors on peut se demander pourquoi cette ASL bénéficie d’un tel soutien à l’étranger et d’une telle complaisance médiatique malgré des scènes abominables d’égorgements, de tortures et de massacres de partisans (civils ou militaires) de l’état Syrien qui ont fait le tour de la planète. On sait désormais parfaitement que la Syrie est devenue la terre sainte des Djihadistes du monde entier (voir ici) et que ces groupes armés d’opposition sont majoritairement financés et aidés par la Turquie, le Qatar et l’Arabie Saoudite d’une part, et par des états occidentaux (Angleterre, Allemagne, Amérique) d’autre part.

Par conséquent la Syrie est actuellement victime d’une agression de l’étranger, organisée par une bien étrange coalition de dictatures Islamistes, de pays occidentaux et du principal allié de l’Otan dans le monde musulman, la Turquie. Curieusement (?) ces états ne semblent pas du tout concernés par la situation au Bahreïn, ou une minorité Sunnite qui détient le pouvoir est fortement contestée par la majorité Chiite, et ou le pouvoir n’hésite pas à faire ouvrir le feu sur la foule désarmée, ce qui n’est à ce jour jamais arrivée en Syrie.

Deux poids deux mesures ?

Le front militaire est accompagné par une guerre médiatique intense. La bataille de Damas qui a éclaté en juillet 2012 a été présentée comme une sorte de coup de poignard planté dans le dos du régime et devait nous a-t-on dit accélérer la fin de ce régime. Il n’en a rien été, l’armée Syrienne à rétabli la paix dans la capitale en moins de 15 jours, et ces jours ci, les terrasses des restaurants à Mezzés de la capitale sont de nouveau pleines. Quand à la bataille d’Alep, présentée comme la bataille décisive pour faire chuter le régime, elle est plausiblement en passe d’être remportée par l’Armée Syrienne, dont moins de 15% des effectifs sont intervenus pour tenter de reprendre le contrôle de cette ville stratégique. En parallèle, de faux reportages ont été visiblement tournés dans des studios au Qatar, afin d’accentuer la guerre médiatique et psychologique contre l’état Syrien et démoraliser ses troupes. La Russie a été prise à partie dans cette guerre médiatique contre la Syrie, puisque par deux fois des officiels russes (l’ambassadeur russe en France, puis le vice ministre russe des affaires étrangères) se sont fait attribuer des propos qu’ils n’avaient pas tenus, appelant au départ de Bashar El Assad.

On peut dès lors se demander si l’intérêt de nations telles que la France est bien de prendre parti dans ce conflit, comme le prônent certains "intellectuels français". Si cette agression étrangère contre l’état Syrien aboutissait, elle aurait pour conséquence la destruction du dernier régime laïque de la région et on peut difficilement imaginer que la prise de pouvoir des groupes radicaux qui combattent aujourd’hui en Syrie soient favorables à la paix et la stabilité dans la région. Plus largement, l’effondrement de la Syrie Baasiste ouvrirait vraisemblablement la route à une pression accentuée sur l’Iran dont on peut se demander à quoi elle aboutirait.

L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l'auteur étant extérieur à RIA Novosti.

* Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie". Il collabore également avec l'Institut de Relations Internationales et Stratégique (IRIS), l'institut Eurasia-Riviesta, et participe à diverses autres publications.

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