Olivier Dard : «le fascisme en France n’a jamais été qu’un mouvement minoritaire»

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Jean-Luc Mélenchon aurait traité Manuel Valls de « nazi ». Cette insulte cache-t-elle une méconnaissance historique ? Retour sur la question du fascisme en France avec l’historien Olivier Dard.

« Pauvre type », « ordure » mais surtout « je ne m'assois pas à côté de ce nazi »: eh oui, Jean-Luc Mélenchon aurait couvert d'insultes Manuel Valls. L'ancien premier ministre, ancien du Parti socialiste, aujourd'hui partisan d'Emmanuel Macron, serait donc un suppôt du Troisième Reich.

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On rira de cette absurdité, d'autant plus que Manuel Valls aimait lui aussi jouer de la reductio ad hitlerum… on en rira mais nous pouvons aussi approfondir la question: Jean-Luc est loin, très loin d'être le seul à réagir et agir ainsi: le Troisième Reich est toujours, 72 ans après sa chute, sur toutes les lèvres, dans tous les esprits. Indéniablement, les années 30 et la collaboration sont LE repère historique le plus puissant pour nos contemporains.

Dans ce contexte, la réédition d'un ouvrage important, chez Pierre-Guillaume de Roux, devrait nous amener à mieux saisir la pertinence ou l'absurdité de toutes ces insultes, ou si vous préférez, la pérennité ou la disparition du fascisme en France.

Cet ouvrage, c'est l'essai du journaliste Paul Sérant, Le romantisme fasciste. Publié en 1959. Un ouvrage essentiel, qui traite de six figures sulfureuses ayant profondément marqué leur époque, à travers la politique et la littérature: il s'agit de Louis Ferdinand Céline, Pierre Drieu la Rochelle, Robert Brasillach, Lucien Rebatet, Alphonse de Châteaubriant & Abel Bonnard. Tous ont été, de près ou de loin, associés avec le régime de Vichy voire avec le national-socialisme.

Paul Sérant a recherché la trace historique d'un fascisme français, alors je vous propose chers auditeurs, de le suivre. Enfin, façon de parler, puisque Paul Sérant est décédé en 2002… heureusement donc, nous nous sommes entretenus avec son préfacier, le Professeur Olivier Dard, historien, Professeur à la Sorbonne, spécialiste des droites radicales, et donc le mieux à même d'éclaircir ce sujet — non celui de Jean-Luc et Manuel, que nous laisserons se chamailler, mais celui de la portée des années 30.

Le fascisme est mort

« Paul Sérant a pris en compte l'importance de l'esthétique, du geste pour comprendre l'engagement de ces auteurs. Il y aurait au fond la volonté de trancher avec leur époque, comme les romantiques de leur temps. Ce livre est une sorte d'autobiographie à clé: on ne le comprend pas le livre sans l'homme. Sérant n'avait que 10 ans le 6 février 1934 mais a connu de près ces figures du fascisme français. C'est un homme distancié temporellement mais suffisamment au fait des acteurs dont il parle. Il y a chez lui un jeu de rôle qui le place à la fois dedans et dehors même si, soyons clairs, le livre n'est nullement une apologie d'un quelconque fascisme français dans les années 50. Ce livre est un moyen de dire aux jeunes gens de 1959 que le fascisme est mort. »

A-t-il jamais existé?

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« Quand Drieu dit "il n'y a jamais eu de fascisme français", cela peu hérisser un certain nombre de tenants de l'existence d'un fascisme français, qui ont tendance dans le sillage de Zeev Sternhell, à élargir à tout une série de groupements nationalistes des années 30, en particulier les Croix de feu. Je ne pense pas que celles-ci aient été un mouvement fasciste. En revanche, je pense que Drieu exagère quand il dit cela. Autour du Parti Populaire Français, et autour d'un certain nombre d'éléments comme la revue Je suis partout, il y a une démarche qui s'efforce de construire un fascisme français. Mais le fascisme en France n'a jamais été qu'un mouvement minoritaire, dans l'incapacité de construire une alternative politique. (…) Le fascisme en France a eu l'incapacité à parler d'une seule voix, y compris sous l'occupation. Quand vous êtes une force minoritaire, avec plusieurs groupements et plusieurs chefs, alors la formule de Drieu peut se comprendre. »

Quel était-il?

« Dans la lignée du nationalisme d'avant 14, ce fascisme français veut se construire comme un mouvement anti bourgeois, anti-capitaliste. Retrouver un pays réél derrière un pays légal frelaté. Par rapport au socialisme, il y a eu dans l'histoire du socialisme français un socialisme anti-marxiste, et même national. (…) Arrivent au fascisme un certain nombre d'éléments venus de la gauche, les amis de Marcel Déat en particulier, ou les communistes Bardet et d'autres, qui vont rencontrer le fascisme par rejet du Marxisme. »

Une vision erronée de l'époque

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« Je vois bien ce que révèlent [les références récurrentes aux années 30]: la charge symbolique, et l'effet politico-médiatique attendu. Mais honnêtement, comparer notre époque à celle des années 30 pose des tas de difficultés. Et cela pose plus largement la question de l'histoire de l'antifascisme. L'anticommunisme et le néofascisme sont très largement morts mais l'antifascisme continue à être un argument régulièrement invoqué et cette persistance pose question: c'est un élément d'instrumentalisation et une forme de traumatisme. Mais il y a beaucoup d'usages de ces termes éloignés d'une réelle connaissance de ce qu'ont pu être les fascismes des années 30 et 40. »

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