La zone Euro est un échec dangereux

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La publication le 5 septembre d’une note du service de recherche de la Banque NATIXIS a relancé le débat sur la zone Euro. Cette étude de NATIXIS parle explicitement de l’échec de la zone Euro (1).

Dans cette étude, les auteurs constatent que la mobilité des capitaux entre les pays de la zone euro a disparu depuis la crise de la zone euro de 2010-2013 et que les échanges commerciaux entre les pays de la zone euro n'ont pas profité autant que ce qu'on pourrait attendre de l'intégration monétaire et économique. Si le second point était largement prévisible depuis la critique des travaux d'Andrew K. Rose, le premier vaut en fait condamnation pour la zone Euro. Nous sommes bien en présence d'un échec profond, un échec dont les conséquences sont désastreuses pour les pays de la zone Euro (2), mais ils ne limitent pas justement à ces pays (3).

Les mensonges de la naissance de l'Euro

Il faut ici rappeler qu'après avoir déguisé l'Euro en une forme de garantie contre les mouvements spéculatifs et les fluctuations, les thuriféraires de l'Euro ont présenté ce dernier comme un avantage pour la croissance en Europe. Les travaux qui furent présentés dans les années 1990 insistaient tous sur les avantages extraordinaires que donnerait la monnaie unique aux pays qui l'utiliseraient. Il s'agissait, bien entendu, de travaux économétriques (4). Pourtant, les résultats en furent rapidement contestés (5). Il est vrai que ces travaux étaient construits sur des bases tant méthodologiques (6) que théoriques (7) extrêmement fragiles. Il est maintenant acquis que les effets de l'Euro sur le commerce interne des pays de l'UEM a été des plus réduit (8). L'étude publiée par NATIXIS enfonce donc le dernier clou dans le cercueil de cette idée.

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De nombreux politiciens ont ainsi prétendu que l'introduction de l'Euro provoquerait, par son seul effet, une hausse de la croissance des pays membres d'environ 1%. Il n'en fut rien (9). En réalité, l'Euro a bien eu un effet sur le commerce intra-zone, mais cet effet a été essentiellement de réarranger les flux entre les pays et de conduire certains pays à se désindustrialiser tandis que d'autres (essentiellement l'Allemagne) profitaient très fortement de l'introduction de l'Euro (10). Tout ceci conduit à mettre en doute la rationalité économique de l'introduction de la monnaie unique. Elle a plutôt joué un rôle d'exacerbation des différences entre les pays membres, ce qui n'est pas surprenant si l'on y réfléchit un peu car les variations de taux de change entre les pays avaient fondamentalement (une fois la composante spéculative de court terme retirée) pour effet de compenser ces différences (11).

L'explosion des écarts de compétitivité

Les causes de cette situation sont connues. Elles furent analysées dans une étude publiée en 2017. Dans l'édition 2017 du External Sector Report (12), le Fond Monétaire International a souligné l'ampleur du problème posé par la divergence des compétitivités dans le cadre de la zone Euro. Il a montré l'importance de ces problèmes pour des pays comme la France, mais aussi l'Italie et l'Espagne. On voit que le problème s'est même aggravé par rapport à l'édition 2016. Ces écarts de taux de change virtuel au sein de la zone Euro sont d'ailleurs régulièrement calculés par le FMI.

L'absence de circulation des capitaux au sein de la zone Euro, qui est bien indiqué dans l'étude de NATIXIS, rend d'autant plus dramatique cet éclatement de la compétitivité au sein de l'Euro, qui conduit à une sous-évaluation de la monnaie de l'Allemagne et à une surévaluation de la monnaie de la France, de l'Italie, de l'Espagne et de la Belgique.

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Alors, on dira que tout ceci survient alors que la « zone Euro » est restée fondamentalement incomplète: il n'y a pas eu de budget commun (du moins dans les proportions nécessaires) et pas d'union fiscale ni d'union de transferts. Mais, cette incapacité à réaliser ce que certains (et parfois honnêtement) tenaient pour le « programme global » de l'Euro est le produit de la résistance institutionnelles de plusieurs pays, et au premier lieu de l'Allemagne. Pour cette dernière, il n'a jamais été question d'avoir un budget fédéral et la seule forme de « fédéralisme » qui soit acceptable serait le contrôle par l'Allemagne des budgets des autres pays. Ce pays a toujours refusé de la manière la plus catégorique d'accéder aux diverses demandes d'une « union de transferts », demandes qui pourtant seraient logiques dans la perspective d'une Union européenne de type fédérale. De fait, l'Allemagne s'est servie de l'UE pour faire avancer ses propres intérêts nationaux au détriment des autres pays (13).

L'inachèvement de la « zone Euro » n'est donc pas conjoncturel comme on le prétend mais bien structurel. L'Allemagne a voulu cette situation parce que c'est la seul qui lui convenait. Dès lors, le future de l'Union Economique et Monétaire apparaît des plus sombres. Cette « union » devrait connaître ce qui fut le sort des autres « unions », c'est à dire se dissoudre (14). Mais, ce faisant, elle risque fort d'entraîner avec elle la dissolution de l'Union européenne elle-même.

L'échec de la zone Euro est aujourd'hui évident pour la grande majorité des observateurs.


(1) Natixis, Flash Economie, Pour l'instant la zone Euro est un échec, n°955, 5 septembre 2018.

(2) Mastromatteo, G. et S. Rossi (2015). The economics of deflation in the euro area: a critique of fiscal austerity, in Review of Keynesian Economics, vol. 3, n° 3, pp. 336-350.

(3) Bibow J. et A. Terzi (dir.), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York (N. Y.), Palgrave Macmillan, 2007.

(4) Rose, A.K. « One money, one market: the effect of common currencies on trade », Economic Policy Vol. 30, 2000, pp.7-45. Voir aussi: Rose, A. K., "Currency unions and trade: the effect is large," Economic Policy Vol. 33, 449-461, 2001, et Rose, A.K., Wincoop, E. van « National money as a barrier to international trade: the real case for currency union », American Economic Review, Vol. 91, n°2/2001, pp. 386-390.

(5) Bun, M., Klaasen, F., « The euro effect on trade is not as large as commonly thought», Oxford bulletin of economics and statistics, Vol. 69, 2007, p. 473-496; Persson T., « Currency Unions and Trade: How Large is the Treatment Effect? » in Economic Policy, n°33, 2001, pp. 435-448. Nitsch V., « Honey I Shrunk the Currency Union Effect on Trade », World Economy, Vol. 25, 2002, n° 4, pp. 457-474.

(6) Greenaway, D. Kneller, R., « Firm heterogeneity, exporting and foreign direct investment », Economic Journal, 117, 2007, pp. 134-161; Flam, H., Nordström, H. (2006), « Trade volume effects of the euro: aggregate and sector estimates », IIES Seminar Paper No. 746.

(7) Kouparitsas, M. A., "Is the EMU a viable common currency area? A VAR analysis of regional business cycles", Federal Reserve Bank of Chicago, Economic Perspectives, vol. 23, 1999, n° 4, pp. 2-20.

(8) Baldwin R. (2006) « The euro's trade effects » ECB Working Papers, WP n°594, Frankfurt. Baldwin R. et al. (2008), « Study on the Impact of the Euro on Trade and Foreign Direct Investment », Economic Paper, European Commission, n° 321.

(9) Voir Natixis, Flash Economie, Pour l'instant la zone Euro est un échec, n°955, op.cit.

(10) Kelejian, H. & al., « In the neighbourhood: the trade effects of the euro in a spatial framework », Bank of Greece Working Papers, 136, 2011.

(11) Glick, R., (1991), "European monetary union: Costs and benefits", Federal Reserve Bank of San Francisco, Weekly Letter, no. 91-16. Salvatore, D. and G. Fink, "Benefits and costs of European economic and monetary union", The Brown Journal of World Affairs, vol. 4, 1999, Issue 2, pp. 187-194.

(12) Voir http://www.imf.org/en/Publications/Policy-Papers/Issues/2017/07/27/2017-external-sector-report et http://www.imf.org/en/Publications/Policy-Papers/Issues/2016/12/31/2016-External-Sector-Report-PP5057

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