Absence d'«acteur de couleur» dans Tchernobyl?
Ce liquidateur rendu célèbre par la série
Le tweet d'une scénariste britannique concernant l'absence d'acteurs de couleur dans la série Tchernobyl a mis en avant une nouvelle «figure» des événements de 1986: le liquidateur Igor Khiriak, originaire de la ville russe de Tcherepovets. Dans une interview accordée à Sputnik, ce dernier partage ses souvenirs du travail dans la zone d'exclusion, à 100 mètres des débris du réacteur sentant la mort, la jeunesse bouillant dans ses veines; l'accomplissement du devoir; et le refus de se considérer comme un héros.
Pendant son temps libre, Igor Khiriak, qui travaille depuis 35 ans à l'usine métallurgique de Severstal à Tcherepovets, amateur de reconstitutions historiques, incarne le garde du corps personnel de Napoléon.

Fier avec son cheval sur le champ de bataille, il a attiré plusieurs fois l'attention de la presse avec son personnage, mais pas seulement: cet homme de 52 ans a également joué le rôle d'un soldat de la Grande armée dans le film sur la «Jeanne d'Arc russe» de la guerre de 1812.

Mais la raison pour laquelle il s'est retrouvé sous le feu des projecteurs des médias russes depuis début juin concerne son histoire personnelle, étroitement liée à celle de millions d'entre nous: Igor Khiriak est un des liquidateurs de la catastrophe à la centrale nucléaire de Tchernobyl.
Igor Khiriak, photo d'archives personnelles
Une gloire «accidentelle»
La diffusion de la série de la chaîne américaine HBO Tchernobyl a suscité un intérêt sans précédent dans le monde entier pour la tragédie survenue le 26 avril 1986. Cette série, dont la popularité a dépassé celle de Game of Thrones, a attiré l'attention des spectateurs non seulement sur les terribles événements survenus il y a trente ans, mais également sur le sort de ceux qui ont empêché au péril de leur vie la propagation de la «tumeur» radioactive, qu'il s'agisse des chercheurs, des apparatchiks, des pompiers ou des soldats sauveteurs.
C'est le grand intérêt porté à ce thème, ainsi que le tweet de la scénariste britannique Karla Mairie Sweet ayant noté l'absence d'acteurs de couleur dans le film, qui ont remis en avant le passé d'Igor Khiriak.

Pendant que les internautes tournaient en dérision l'absurdité du commentaire de la scénariste, un ami d'Igor a publié sur le site populaire Pikabu sa photo pendant son service militaire à Tchernobyl. En quelques jours, le «nouveau» héros a reçu des dizaines d'appels des journalistes.

Et bien qu'il n'ait pas réussi à satisfaire l'intérêt de la presse en dévoilant ses racines - né dans une famille russo-ukrainienne, Igor a simplement hérité de l'apparence de ses aïeux du côté maternel -, le soldat ouvert et multifacette, qui a partagé ses souvenirs sur les deux mois et demi passés dans la zone de la centrale de Tchernobyl, a conquis les cœurs de nombreux internautes russes.

Igor Khiriak pendant son service militaire, photo d'archives personnelles
«Aucune peur»
«J'ai été appelé de Tcherepovets en 1985, en automne, et je me suis retrouvé à Kiev. Le régiment a été mis en état d'alerte. J'avais 19 ans à l'époque», a déclaré à Sputnik Igor Khiriak, qui s'est retrouvé dans la zone de la catastrophe le lendemain de l'explosion du réacteur.

En quittant la base, Igor et ses camarades du régiment de génie ignoraient où ils étaient envoyés. La version officielle était qu'il s'agissait d'«exercices».
Tout a été annoncé le lendemain: «Toute l'information connue à ce moment par notre commandement a été transmise le lendemain, après la première nuit de travail.»
À ce moment l'incendie dans le quatrième bloc était déjà éteint mais, se souvient Igor, une colonne de fumée radioactive dense continuait de s'élever dans le ciel.
Un véhicule sortant de la zone de la catastrophe de Tchernobyl passe par la décontamination, © Sputnik /Vitaliy Ankov
Travail dans l'enceinte de la centrale après la catastrophe nucléaire, © Sputnik/Igor Kostine
Des spécialistes en nucléaire se dirigent vers la centrale nucléaire de Tchernobyl, © Sputnik/Boris Prihodko
Comme l'affirme Igor aujourd'hui, à 19 ans déjà il était conscient du danger: «J'apprenais bien, je m'intéressais à la formation militaire - et le danger du nucléaire pacifique était comparé aux activités militaires. Autrement dit, la situation était claire. Il y avait peut-être une inquiétude, mais pas de peur. Il fallait simplement faire le travail, et nous le faisions tous.»

Le premier objectif d'Igor et de ses camarades était d'organiser la traversée de Pripiat pour évacuer les villages les plus proches du territoire biélorusse, car la frontière passait pratiquement sur la rivière. Le second: construire un pont sur le canal de dérivation de la centrale.
«Ensuite est arrivé le service d'entretien du pont et de travail à la centrale. Ceux qui sont restés ensuite ont été répartis en deux groupes. L'un desservait le pont, l'autre partait travailler à la centrale; nous changions de place toutes les semaines ou deux, cela dépendait», se souvient-il.

Il fallait également s'approcher du réacteur. Igor raconte qu'il s'en est personnellement rapproché à environ 100 mètres pour charger des débris de trois mètres de plaques de béton nécessaires pour renforcer le pont.
Jusqu'à «25 roentgens»
Pendant les premiers jours, le travail était mené en EPI (équipement de protection individuelle) et en masque à gaz, mais ensuite, après consultation avec les collaborateurs de la centrale, le commandement a autorisé les soldats à travailler en uniforme ordinaire avec des respirateurs.
«Parce qu'il faisait très chaud en EPI, très humide, la sueur s'accumulait. Avec l'eau dans la tenue et dans le masque à gaz, il est impossible de respirer quand on travaille toute la journée», explique Igor.
En ce qui concerne la période de travail sur le réacteur même, se souvient Igor, les soldats recevaient des tenues blanches, comme celles qui étaient portées par les collaborateurs de la centrale: «Ils les faisaient venir en grande quantité. Nous rendions la tenue utilisée avant la douche, on se lavait et on en obtenait une nouvelle.»

Cette protection était-elle suffisante? Igor est persuadé que oui: il s'appuie sur l'avis des chercheurs de la centrale auxquels il a parlé pendant le tournage d'un reportage consacré aux événements de 1986.
Homme chargé de contrôle dosimétrique, © Sputnik / Igor Kostine
Le matériel militaire opérant dans la zone de la catastrophe de Tchernobyl passe par la décontamination, © Sputnik /Vitaliy Ankov
Des membres du détachement en charge de la décontamination de la centrale de Tchernobyl en route pour le site, © Sputnik /Vitaliy Ankov
«Le plus important était d'éviter que les particules de combustible du réacteur, les particules fines, ne se retrouvent dans les voies respiratoires. Ceux qui en ont reçu sur la peau et dans les voies respiratoires dans les premières heures sont décédés presque immédiatement. Et pour le reste, même en accumulant une grande dose de radiations l'organisme parvient à gérer. Et [ces mesures de sécurité] ont aidé la plupart des sauveteurs: ils sont encore en vie à ce jour», indique-t-il. Lui a reçu une brûlure au larynx pendant son travail sur le site.

La santé de l'unité était surveillée par le médecin des appelés. Ceux qui étaient susceptibles d'avoir des maladies liées à la radiation recevaient de l'iode en pilules des pharmacies militaires prévues en cas d'utilisation de l'arme nucléaire. Les dosimètres cumulatifs ne fonctionnaient pas, se souvient Igor.

En l'absence de données exactes, on ajoutait sur la carte «0,1 ou 0,2 roentgen par jour. Quand nous accumulions 25 roentgens nous étions évacués de la zone».
Des jeunes avant tout
Igor s'est rendu pour la première fois à Pripiat, qui faisait partie de la zone d'exclusion de 30 km, seulement un mois après le début des travaux à la centrale. La ville, qui était encore récemment le foyer de plus de 49.000 personnes, avec un âge moyen de 26 ans, frappait par son état désert.

«De telles images donnent la chair de poule: en général, il n'y a personne dans une forêt, mais quand il n'y a personne dans une ville, le sentiment n'est pas positif», reconnaît-il.
La ville de Pripiat vue depuis un drone, 2019
À la question de savoir si Tchernobyl l'a poussé à grandir et a influencé sa vie par la suite, Igor ne répond pas. Il explique n'avoir aucun point de comparaison, et ne voit aucune raison de regretter le passé.

Toutefois, même dans la zone de l'incident, les soldats appelés, pendant leur temps libre, étaient toujours des jeunes avec leurs intérêts et passions.
«Rien n'avait changé, tout était comme pendant des exercices de campagne. Nous plaisantions, inventions des occupations pendant notre temps libre. Par exemple, le weekend, les appelés essayaient d'allumer la télévision pour regarder des émissions; dans la soirée on regardait en secret la Coupe du monde de football…», raconte Igor.
Et s'il y a bien une chose qui n'existait pas, c'était la consommation d'alcool. Dans la série, des caisses de vodka sont généreusement déchargées, mais la réalité était toute autre, affirme-t-il.

«C'était même inadmissible. Nous aurions été immédiatement sanctionnés si quelqu'un avait été pris en train de boire. C'est pourquoi, parmi nous, personne n'y songeait. Il y avait des cas isolés, mais la sanction tombait aussitôt. C'était pris très au sérieux.»
« Il faut comprendre que c'est un film »
Malgré de nombreuses incohérences, la série Tchernobyl a plu à Igor. Il note que les auteurs «ont rempli leur mission», et ceux qui n'ont pas apprécié l'incohérence dans les détails doivent se dire qu'il s'agit tout de même d'un film.

«Comment montrer dans un film, par exemple, une situation de peur: si on la montre simplement telle quelle, les gens regarderont et diront: "Oui, il y avait quelque chose, mais comme pendant un incendie ordinaire, rien de spécial." Je pense que l'utilisation de certains épisodes spécialement pour montrer l'intensité et la gravité des faits [est justifiée].»

Igor évalue la véracité du film à hauteur de 6/10.

«Avant l'émission (Igor a récemment participé à un débat télévisé consacré à Tchernobyl) j'aurais dit 8/10, mais plus maintenant. Des faits et des inexactitudes ont été révélés, et la note a baissé.»

À la demande de commenter une scène de la série dans laquelle, après l'échec de l'utilisation du rover allemand, l'académicien Valeri Legassov suggère d'utiliser des «bio-robots» - faisant allusion aux humains - Igor dit que les soldats n'étaient pas traités comme des consommables.

«Notre commandant, qui restait avec nous, faisait tout avec nous de la même manière. On n'avait pas l'impression de travailler seulement pour que quelqu'un d'autre reste planqué.»
Igor reconnaît que la panne du matériel radio-télécommandé ne résistant pas aux radiations près du réacteur l'avait poussé à songer à son imperfection.

«Par rapport au matériel, l'homme est une créature unique - les animaux et les organismes vivants sont si uniques qu'ils peuvent accomplir un tel travail, alors que notre matériel n'est pas encore parfait. Et le sera-t-il?», se demande-t-il.
Les liquidateurs en charge du déblayage du toit du réacteur accidenté mettent les tenues de protection, © Sputnik/ Igor Kostine
Igor considère que les plongeurs qui sont descendus pour pomper l'eau sous le réacteur afin d'empêcher une nouvelle explosion dans les jours qui ont suivi la catastrophe sont de véritables «légendes».

«On perd son haleine à côté d'eux», se souvient-il d'une récente rencontre avec ceux qu'il voyait auparavant seulement à la télévision et dans les journaux. Sachant qu'il refuse d'être placé au même rang qu'eux, pensant que sa mission n'avait rien d'extraordinaire.
Diplôme de remerciement accordé à Igor Khiriak pour sa participation à l'opération à Tchernobyl, photo d'archives personnelles
Plus de 600.000 personnes de toute l'URSS ont participé à l'atténuation des conséquences de la catastrophe radioactive à la centrale nucléaire de Tchernobyl. Et même si seulement quelques dizaines de noms sont connus, chacune d'elles a apporté sa contribution à ce travail titanesque.
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