La guerre des Juifs non selon Flavius Josèphe

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Ce n’est pas au bruit des bouchons de champagne qui sautent que l’Etat moderne d’Israël apparut, mais aux grondements de la guerre contre le monde arabe qui l’entourait. En 1947, seulement deux ans après la fin du cauchemar de la Seconde guerre mondiale, l’Assemblée Générale de l’ONU adopta la résolution de partition de la Palestine en deux Etats – juif et arabe. Il devint peu après évident qu’un arrangement entre les deux communautés ne pourrait fonctionner. Le sang coula en territoire sous mandat britannique. Bien entendu, pour l’espace vital, la pomme de discorde entre deux peuples sémites. Les Juifs se débrouillèrent les premiers pour proclamer leur Etat indépendant le 14 mai 1948. A seulement huit heures de l’expiration du mandat britannique touchant la Palestine.

« Les Etats-Unis cherchaient en vain de retenir les Juifs de cette démarche hâtive. Cela non pour quelques raisons d’ordre moral. Les Américains doutaient de l’aptitude du nouveau-né de tenir face à la coalition hostile de la Ligue Arabe. Ils proposaient même de placer la Palestine sous tutelle de l’ONU, tant que la direction sioniste n’aurait parvenu à un accord avec les Arabes, avant tout palestiniens, avec lesquels ils avaient à coexister officiellement. Tel-Aviv s’obstina, et Washington reconnut quand même de factol’Etat israélien. Les Américains le firent aussi trop vite. Le président Harry Truman annonça sa décision juste onze minutes après la proclamation de la Déclaration israélienne de l’indépendance. Bien qu’il agissait plutôt par pur calcul électoraliste : l’année des présidentielles il était non sans intérêt de s’assurer les sympathies de la nombreuse diaspora juive », explique l’historien Sergueï Gouk.

« La décision de la direction de l’URSS de reconnaître l’Etat juif en Palestine ne se fit non plus attendre. Moscou proposa à l’ONU un plan original d’un Etat arabo-israélien démocratique, hybride, basé sur le principe de l’autodétermination, appelé à défendre les intérêts légitimes de tous les Palestiniens. Et au cas de l’impossibilité de la symbiose, la délégation soviétique aux Nations Unies proposait une autre variante : deux nations – deux Etats. Comme nous le savons, finalement c’est le monopole d’un seul Etat – hébreu, qui s’affirma en Palestine, tandis que les Arabes palestiniens furent Gros-Jean comme devant. Et pourtant personne ne les empêchaient de proclamer leur indépendance », dit Iouri Zinine, le collaborateur en chef du MGIMO.

Le conflit était programmé pour des décennies à venir. Derrière les parties belligérantes au Proche-Orient on devinait la présence de deux superpuissances.

Les Juifs d’Israël ne purent pas fêter l’événement historique. Dans la nuit du 14 au 15 mai Tel-Aviv essuya un raid de l’aviation égyptienne. Un premier acte d’agression depuis fin novembre 1947, quand les Juifs devaient retenir la poussée des Arabes palestiniens et des détachements de volontaires des pays arabes voisins. Alors c’est la résolution de partition de la Palestine, approuvée par l’Assemblée Générale de l’ONU, qui mit le feu aux poudres. La Déclaration de l’indépendance d’Israël marqua une nouvelle étape dans cette guerre larvée. Désormais les armées régulières de cinq Etat arabes – Egypte, Liban, Syrie, Irak et Transjordanie (Jordanie à partir de 1950) qui se mirent en campagne contre l’Etat hébreu. Une unité d’Arabie Saoudite prit part à l’attaque d’une façon purement symbolique. Le Yémen se contenta d’une déclaration de solidarité standard.

La situation du nouvel Etat s’avéra peu enviable. Des combats contre les troupes syriennes et libanaises faisaient rage dans le nord. Les combattants de la Légion arabe reprirent le contrôle de Jérusalem-est occupée illégalement par les Israéliens. Les Egyptiens avançaient avec succès dans le nord de la province de Néguev. Les milices juives résistaient à grand-peine. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis, alliés et patrons actuels de Tel-Aviv, ne fournissaient pas d’aide à l’Etat hébreu en ces mois critiques. D’ailleurs, Londres soutenait à l’époque l’Egypte par des livraisons d’armes et par des spécialistes militaires. Un partenariat stratégique avec des régimes arabes riches en pétrole promettait beaucoup plus qu’une alliance douteuse avec la nouvelle formation encore faible, qui risquait de tomber d’un jour à l’autre. Si étrange que cela ne puisse paraître l’aide vint de la part du futur ennemi juré – l’Union Soviétique.

Ce n’est pas par grand amour pour la direction sioniste que Moscou prit alors résolument le côté d’Israël. Le Kremlin gageait sur la création de son avant-poste au Proche-Orient, pour en évincer les Britanniques et n’y pas admettre les Américains fouineurs. Le journal « Pravda » formula en mai 1948 avec un maximum de droiture la position soviétique officielle, en dénonçant les tentatives des Arabes de bafouer « les droits des Juifs de fonder leur propre Etat indépendant…En dépit des sympathies qu’il éprouve pour le mouvement de libération nationale du peuple arabe, le peuple soviétique condamne la politique agressive, menée contre Israël ».

Encouragées par ce soutien, les organisations juives adressaient des demandes à Staline d’octroyer une assistance militaire directe à Tel-Aviv. Il se trouva assez de pilotes volontaires ayant l’expérience de la Grande guerre nationale, prêts à combattre les Arabes. Le Kremlin ne se décida pas à une ingérence directe. Il laissa sans réaction les appels d’Israël, qui promettait de payer pour les chasseurs-bombardiers. Suivant des données officieuses, les pilotes juifs, démobilisés de l’Armée soviétique au printemps de 1948 furent implicitement autorisés à partir pour la Palestine.

De hauts gradés des ministères de la Défense des deux pays tinrent également des pourparlers à huis clos à Moscou concernant les voies et les moyens de l’envoi en Israël des armes et du matériel de guerre pris aux Allemands. Les Juifs recevaient, par exemple, en secret des chasseurs Messerschmitt, bien sûr, démontés via la Tchécoslovaquie et la Hongrie. Des spécialistes militaires pour l’armée israélienne étaient aussi formés à Prague. L’URSS, officiellement, n’y était pour rien.

Par la suite le président de l’Organisation sioniste mondiale Nahum Goldman appellera les choses par leur nom : « Sans l’Union Soviétique l’Etat hébreu n’aurait pas existé. Moins parce que les Russes ont voté pour sa création, que parce que durant l’invasion arabe de 1948-1949 Israël a reçu tous les armements des pays communistes ».

Une déclaration analogue fut également faite par le premier chef du gouvernement israélien David Ben Gourion dans son interview à la télévision d’Israël : « Si je vous reçois à présent dans l’Etat hébreu, nous le devons beaucoup plus à l’Union Soviétique, qu’aux Etats-Unis. Puisqu’au cours de notre guerre pour l’indépendance, lorsque nous étions encerclés par les armées arabes, nous n’avons obtenu un seul fusil des Etats-Unis ».

Israël trouvait des armes partout où il le pouvait.

Pour rester objectif, il convient de noter que l’URSS ne fut pas la seule à contribuer à l’armement des Juifs de Palestine. En de brefs délais la direction de l’Etat hébreu réussit à doter ses forces d’avions, d’artillerie et de blindés de fabrication anglo-française et américaine. Tel-Aviv formait fébrilement des brigades d’armée. L’une d’elles, la septième, mise sur pied en mai 1948, était vraiment internationale, comprenant des engagés volontaires d’Europe de l’Est – Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, Bulgarie et Russie. Pour tous armements lourds elle avait deux chars « Cromwell », volés dans un entrepôt britannique. Plus tard s’y ajoutèrent trois « Sherman » américains et une dizaine de chars légers français d’avant-guerre « Hotchkiss H39 ». Mais à en croire les contemporains, la brigade ne combattait pas pis que d’autres.

En juin 1948 une trêve intervint après l’envoi en Palestine par le Conseil de Sécurité du médiateur des Nations Unies, le comte suédois Folke Bernadotte. Dès le début sa mission passait pour être impossible, ce qui allait se confirmer peu après. Le diplomate avait à trouver un compromis qui arrangerait Israël et la Ligue Arabe, cherchant à effacer l’Etat hébreu de la carte politique du monde.

En ces jours-là aucune des parties belligérantes ne souhaitait la paix.

Tel-Aviv profita de la trêve pour se regrouper et s’armer davantage. Israël n’avait foi en aucun émissaire de l’ONU. Une paix négociée lui semblait fragile. Bien mieux si elle est imposée par la force. Il ne fallut pas attendre longtemps un prétexte pour rouvrir les hostilités. Le 17 septembre le convoi du médiateur et de son adjoint fut criblé de balles par des radicaux israéliens, qui seraient transférés ensuite d’urgence en Tchécoslovaquie. Mais officiellement aucune preuve d’une « piste israélienne » ne fut jamais trouvée.

Les combats reprirent de plus belle, entrecoupés de quelques trêves. Tantôt les Egyptiens passaient à l’offensive en violation des ententes, tantôt les Juifs organisaient sous les yeux des observateurs de l’ONU des provocations, comme celle de l’attaque d’un convoi de vivres par des extrémistes déguisés en uniforme de l’armée égyptienne. L’appel du CS de l’ONU au sujet d’un cessez-le-feu immédiat, lancé le 19 octobre 1948, n’a pas été entendu par direction israélienne. Qui plus est, elle ordonna une offensive au front du nord. Vers ce moment les sionistes développèrent considérablement leurs muscles et réussirent une sérieuse percée : leur armée s’empara de tout le centre de la Galilée et entra au Liban. D’autres troupes israéliennes franchirent la frontière égyptienne et occupèrent presque toute la péninsule du Sinaï, en menaçant la base navale méditerranéenne d’El-Arich.

L’Occident s’inquiéta. Se référant à l’accord anglo-égyptien de défense, la Grande-Bretagne menaça d’une ingérence militaire et présenta un ultimatum à Tel-Aviv de quitter immédiatement le territoire égyptien. A contrecœur les sionistes se plièrent. Des accrochages se poursuivaient jusqu’à ce que le CS de l’ONU ne parvienne à imposer la fin des hostilités. Le 24 février un accord sur un cessez-le-feu fut signé avec l’Egypte, un mois après – avec le Liban. Le 3 avril et le 20 juillet – respectivement avec la Transjordanie et la Syrie. Les autres belligérants arabes ne signèrent aucun document et restaient formellement en état de guerre avec Israël. Aucun accord de paix ne fut conclu d’autan : les leaders arabes refusaient de reconnaître le régime à Tel-Aviv.

Le collaborateur en chef à MGIMO Iouri Zinine explique les origines du la confrontation :

« Lorsque l’ONU a adopté la fameuse déclaration de partition de la Palestine en novembre 1947, les Juifs l’ont perçu avec enthousiasme comme leur victoire. Alors que les Arabes palestiniens, qui voyaient en immigrés juifs toujours plus nombreux un corps étranger, n’ont pas accepté cette décision. Pour cette raison quand Israël a proclamé son indépendance, les Arabes palestiniens, mais aussi tous les Etats arabes indépendants s’y sont opposés. Et une première guerre arabo-israélienne de 1948-1949 a commencé ».

De profondes contradictions sur diverses questions ont empêché les Arabes de former un commandement unifié. Ils combattaient mal, sans un plan uni. Grâce aux Juifs, possédant une expérience des opérations militaires, Israël est parvenu à former une armée combattive, à repousser les attaques, mais aussi à s’emparer des territoires qui aux termes de la résolution de l’ONU étaient destinés à former un Etat arabe en Palestine, option cependant refusée par les Arabes. Et lorsque la médiation internationale a permis d’arrêter les hostilités en 1949 et de tracer les frontières provisoires, aucun Etat arabe n’a reconnu Israël. Les Palestiniens poursuivaient leur lutte. Le problème des réfugiés palestiniens est apparu.

Les conséquences de la guerre.

Les familles palestiniennes quittaient massivement les zones des opérations militaires, en passant dans la bande de Gaza et sur la rive Occidentale du Jourdain. Personne ne les recensa exactement. Leur nombre était évalué de 200 mille à 700 mille. Seuls 160 mille sur toute la population arabe de la Palestine restèrent en territoire d’Israël. En 13 mois les pertes d’Israël se montèrent à 4 mille militaires et à 2 mille civils.

Le bilan s’avéra lourd pour les Arabes. L’Etat hébreu étendit de 48% les territoires que l’Assemblée Générale de l’ONU lui avait accordés. D’ailleurs, d’autres participants à la guerre ne perdirent non plus leur temps. La bande de Gaza, réservée aux Arabes de Palestine, passa sous contrôle de l’Egypte et de la Transjordanie. Cette dernière annexa de plus les terres qui reçurent le nom de Cisjordanie et encore la partie est de Jérusalem. Tous profitèrent au détriment des Palestiniens. Et pourtant : n’aurait-il pas été plus raisonnable de proclamer un Etat arabe de Palestine en territoire qui restait pour réclamer plus tard la restitution des terres prises illégalement?

« 60 ans après les événements il semble qu’une telle chance existait et beaucoup ont, peut-être, regretté (de l’avoir manqué). Mais à l’époque il y avait un avantage démographique, la foi des Arabes en leur victoire, une grande amertume. Ces trois facteurs ont fait que la direction palestinienne a refusé : c’est tout ou c’est rien. Car au moment de la partition de la Palestine il n’y avait qu’un demi-million de Juifs. Un rien en comparaison du monde arabe voisin », dit Iouri Zinine .

Quelles sont les raisons du revirement dans les rapports entre l’URSS et Israël?

« Moscou considérait le problème palestinien dans l’optique des intérêts de classe », explique Iouri Zinine.

Et comme au début les idées socialistes étaient très fortes dans l’Etat hébreu, le Kremlin était persuadé : Israël donnera un exemple aux régimes féodaux retardataires.

« Qu’une union socialiste avec les Arabes apparaîtra. Mais la grande idée était d’évincer de la région avant tout l’Angleterre. Et la lutte d’Israël était soutenue pour ces motifs. Des relations existaient avec une certaine couche sociale – des groupes de gauche. Mais alors ils étaient encore faibles. Plus tard, quand Israël accèdera à l’indépendance, gagnera la guerre, il aura besoin d’une énorme aide, en premier lieu, économique. L’URSS n’a pas pu lui fournir un tel soutien et Israël s’est trouvé dans l’isolement total. Les Etats-Unis sont devenus son premier allié. Un puissant lobby juif aux Etats-Unis appuyait l’indépendance d’Israël. Les plus importants dons étaient faits par des Juifs américains. Israël a commencé à s’orienter vers l’Occident. On a compris en URSS qu’Israël ne présentait plus une base à une éventuelle propagation des idées de libération nationale. A partir de ce moment nous établissons des contacts avec l’Egypte, la Syrie, le Liban. Une certaine réorientation vers le monde arabe commence. Tandis que l’Etat hébreu demeurait dans le centre d’attraction des Etats-Unis », continue Iouri Zinine.

Et dérivait de plus en plus du côté de l’Occident. Le mouvement sioniste atteignit son objectif principal. Il sut créer une patrie pour les Juifs dispersés à travers le monde. Il est vrai que tous ne se dépêchaient pas de venir dans la « terre promise ». De nombreux préférèrent une solidarité à distance. Même en période de l’émigration de masse de l’URSS, les Juifs cherchaient à prendre pied en Europe ou en Amérique du Nord.

« Mourir pour la patrie, mais vivre à l’étranger ».

Jusqu’à un certain âge les hommes, comme les femmes devaient faire leur service dans l’armée israélienne. Et aussi s’exposer aux balles des terroristes. Ou pire encore être au nombre des colons en terres palestiniennes. Et là on risquait déjà des attentats à la bombe. Ajoutez-y le problème de l’emploi. Des perspectives qui ne tentaient pas franchement tous les Juifs.

La première guerre pour l’autodétermination, mais loin la dernière, prit fin en 1949. Et les « dents du dragon », qui donnaient constamment des germes de guerriers à combattre, furent semées en abondance dans la région du Proche-Orient. L’hostilité entre Israël, d’un côté, et les Palestiniens et les voisins arabes, de l’autre, semble, du moins pour le moment, insurmontable. Il faudra, probablement plus d’une génération et plus d’un compromis pour que la haine cède la place au bon voisinage.

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