Mère Marie et Mère Marie. Au service de Dieu, au service de la France

Mère Marie et Mère Marie. Au service de Dieu, au service de la France
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« Rien n’est jamais acquis à l’homme / ni sa force ni ses faiblesses ni son cœur/ et quand il croit ouvrir ses bras/ son ombre est celle d’une croix ». Louis Aragon

L’Histoire, qu’elle se transmette de bouche en bouche, qu’elle soit écrite et (ou) enseignée n’a au demeurant qu’une vocation : pérenniser l’expérience des aïeux. Or, hélas, il arrive parfois qu’elle ait la mémoire courte ou sélective. Elle garde ce que bon lui semble, elle répudie au dernier rang certains noms, par antipathie ou … par simple oubli. Je ne dirais pas que le nom de Mme Skobtsov ou Mère Marie ait été irrémédiablement oublié en France, la preuve, c’est bien sur des sites français que je suis allée chercher des renseignements relatifs à sa biographie et néanmoins, étant donné le parcours extraordinaire de cette femme, je trouve curieux que celle-ci soit si peu connue en France.

Elizabeth Pilenko, de son nom de jeune fille, Elizabeth Kouzmine-Karavaïev puis Skobtsov de ses deux noms de mariages, Mère Marie, de son nom de moniale… cette femme vécut une vie que je qualifierais presque d’irréelle. Née à Riga en 1891 dans une famille aristocratique, la petite Liza déménage d’abord à Anapa, ensuite à Yalta, en Crimée, où son père est nommé directeur du jardin botanique de Nikitsky avant d’être envoyé à Saint-Pétersbourg comme fonctionnaire au département des affaires agricoles. Après son décès brutal survenu en 1906, Liza se tourne vers la littérature, fréquente des soirées poétiques. Cette passion pour les belles-lettres conduira à son mariage avec un juriste partageant les mêmes intérêts et convictions, Mr Kouzmine-Karavaïev. Pour des raisons que l’on ignore, l’union sera vite dissoute malgré la naissance d’un premier enfant et laissera une trace indélébile dans l’esprit toujours en pleine ébullition de Liza : déçue, désorientée, elle découvre la poésie religieuse, se consacre elle-même à l’écriture et se revendique du mouvement acméiste. Son intelligence contestataire et moderniste, dirait-on aujourd’hui, lui fait regretter le conservatisme du pouvoir et saluer l’abdication du Tsar en 1917.

Or, la Révolution, loin d’avoir pris le tournant réformateur et humaniste qu’espérait tant Liza, la pousse à quitter le Parti socialiste-révolutionnaire.  Revenue à Anapa après son divorce, c’est là qu’elle est jugée par les Blancs redevenus maîtres de la région, acquittée, nommée maire de la ville et, comble du paradoxe, épouse son propre juge, Mr Skobtsov ! Commence une longue épopée, marquée par un départ en Géorgie où naît le petit Georges et suivi d’une évacuation à Constantinople. Finalement, au début des années 1920, la famille de Liza rejoint la Serbie, alors alliée politique de la France, et finit par débarquer, fin de pérégrinations, à Paris.

En 1932, moralement minée par le décès de son troisième enfant, sans doute inspirée par d’inlassables quêtes religieuses et philosophiques, Elizabeth prononce ses vœux et devient moniale sous le nom de « Mère Marie ». Dotée d’une personnalité très énergique, fervente activiste, on la voit tantôt en Lettonie, tantôt en Lituanie en train d’œuvrer pour le bien de petits monastères et communautés religieuses Elle est ensuite désignée secrétaire du Mouvement de la Jeunesse chrétienne Etudiante Russe, mouvement patriotique attaché aux valeurs anté-révolutionnaires, puis, promue au rang de secrétaire centrale adjointe aux actions sociales et missionnaires. Etant parvenue à réunir des fonds suffisants, elle fonde une maison d’accueil, rue de Lourmel, pour  jeunes femmes isolées dans le besoin. Une Eglise est également construite sous sa direction dans le XV arr. 

Juin 1940. Début des années noires. Paris est occupé. Sans hésitation aucune, Mère Marie entre dans la Résistance, son fils Georges à ses côtés. Actions de renseignement, préparation de faux papiers pour les juifs de France et leur accueil rue de Lourmel, sauvetage d’un certain nombre d’enfants après la rafle du Vel’ D’hiv’. Après trois ans de service évangélique, d’abnégation la plus absolue,  Mère Marie et son fils sont arrêtés par la Gestapo. Il semblerait que Georges Skobtsov, gravement malade, ait été liquidé au camp de Compiègne. Ses compagnons de peine, rescapés pour certains, livreront plus tard un témoignage des plus poignants de la vie et notamment des dernières heures de ce très jeune homme infiniment dévoué à ses convictions et au message évangélique que lui a transmis sa mère. Quant à Mère Marie … déportée à Ravensbrück, elle prendra la place d’une femme juive et mourra gazée un mois avant la défaite nazie, le 31 mars 1945.   

En 2004, le Patriarcat de Constantinople ordonnera sa canonisation ainsi que celle de Georges, mort pour Dieu, mort pour la France.

Plongée dans mes recherches sur la Mère Marie Skobtsov, je suis tombée, à tout hasard, sur une certaine, une autre, attention (!!!), Mère Marie Elisabeth de l’Eucharistie. Même prénom … même nom monastique … presque la même année de naissance : 1891 pour Liza Skobtsov et 1890 pour Elise Rivet. Et oui, cette fois-ci, une française, jusqu’au bout des doigts, fille d’un officier de la marine. Devenue mère supérieure du couvent Notre Dame de la Compassion de Lyon en 1933, elle en fera un lieu de refuge sous l’Occupation, arrachant à la Gestapo pas mal de victimes promises à la déportation ou à la peine capitale. C’est également dans son couvent que certains Mouvements unis de la Résistance cacheront leurs armes et munitions. Arrêtée, déportée, elle finira ses jours … à Ravensbrück, dans une chambre à gaz, le 30 mars 1945… la veille de l’exécution d’Elizabeth Skobtsov. Au-delà d’une similitude flagrante et forte de par sa symbolique, on retrouve l’expression de cette réalité fondamentale que les martyrs, quelle que soit leur nationalité, quels que soient leurs motifs immanents, se retrouvent dans la mort, de par la mort et après sa venue, quand « tout est consommé » (Jean 19, 3).  Puisse l’Histoire retenir ces deux noms, ces deux Marie, l’une russe, l’autre française, qui sans partage ont servi la France comme elles ont servi Dieu.  

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