La Campagne de Russie, histoire d’une guerre de géants. Partie XXII, la bataille de Krasnoé

© Photo: RIA NovostiLa Campagne de Russie, histoire d’une guerre de géants. Partie XXII, la bataille de Krasnoé
La Campagne de Russie, histoire d’une guerre de géants. Partie XXII, la bataille de Krasnoé - Sputnik Afrique
S'abonner
Le 13 novembre 1812, les restes de la Grande Armée se trouvaient donc concentrés autour de Smolensk par un froid terrible, lorsqu’une série de mauvaises nouvelles vînt replonger Napoléon et ses troupes dans un danger mortel. Smolensk ne pouvait plus être gardée, il fallait retraiter encore plus loin dans de terribles conditions.

Napoléon en effet vient d’apprendre que les forces de Victor et de Gouvion Saint-Cyr n’avaient pu défendre Vitebsk, un point stratégique essentiel de la route vers le Niémen. Sa prise par les Russes de Wittgenstein était une véritable catastrophe. Des milliers de tonnes d’approvisionnement tombaient entre les mains de l’ennemi, la route de la retraite de Napoléon était gravement menacée, quelques efforts encore et les Russes pouvaient s’emparer de Minsk. Fait encore plus grave, Victor avait autorisé l’évacuation de cette ville, autre point stratégique très important, livrant là encore d’énormes réserves de matériels et de vivres qui se trouvaient perdues pour la Grande Armée. Le 14 novembre les Russes s’emparaient avec facilité de la ville.

Venue du Nord, l’Armée de Wittgenstein forte de plus de 40 000 hommes poussait donc devant elle, les restes des corps de Victor et Gouvion. L’Armée principale de Koutouzov, forte de 80 000 soldats et 600 canons avec en pointe les Cosaques de Platov et Miloradovitch talonnait Napoléon. Enfin une troisième armée, nouveau danger, se présentait par le Sud, en travers des Français, celle de l’amiral Tchitchagov avec 60 000 hommes. L’Empereur le 15 novembre, ne disposait plus que d’une armée squelettique, 40 000 combattants armés, et sans doute à peu près autant de trainards totalement désorganisés. Les Maréchaux Victor et Gouvion avec leurs forces ne pouvant aligner tout au plus que 20 à 25 000 hommes en comptant d’autres contingents, notamment polonais.

Tragique situation, notamment lorsque le 15 novembre, l’avant-garde de Miloradovitch vînt couper cette retraite à Krasnoé. Une bataille s’engage bientôt, Napoléon lance ses meilleures troupes, la Garde impériale en personne à l’attaque. Dans un ordre impeccable, les vieilles moustaches s’avancent sur les Russes. Beaucoup de ces soldats font la guerre depuis 20 ans. Avoir les 16 000 hommes de la Garde n’est pas une mince affaire, cela signifie pour Miloradovitch avoir en face de lui Napoléon… N’ayant rien à perdre, les Français s’avancent et balayent la position, irrésistibles, le général russe ne cherche pas à résister, il s’écarte laissant passer en la canonnant copieusement la colonne impériale. Koutouzov à son habitude est resté inactif et lent.

Dans la nuit du 16 novembre, Miloradovitch réoccupe toutefois la position que le corps du Prince Eugène doit à nouveau reprendre. Ayant reçu des ordres pour éviter la confrontation trop général, Koutouzov tient la bride à ses généraux, Miloradovitch lui-même empêchera Eugen de Wurtemberg d’en finir avec une partie des français. Les ordres sont de harceler les Français, de les canonner, de les suivre pour lancer le 17 novembre une attaque générale. Le sauvetage de Napoléon était donc réalisé par son plus grand ennemi, Koutouzov, au point qu’après la bataille, le Tsar Alexandre ne pût qu’entrer dans une colère légitime devant l’incurie de son général en chef. Sa popularité restait immense et il était difficile de congédier une icône de la Russie… Le 17 novembre, à nouveau encerclé, avec seulement 25 000 hommes, Napoléon rallie le 4ème corps, mais à l’arrière se trouvent encore les hommes de Davout et de Ney.

Le fait reste incroyable et encore inexpliqué, mais Napoléon fit faire demi-tour à ses troupes pour donner la main à Davout et ses 9 000 hommes. Splendide acte de guerre, à un moment désespéré, où selon les règles de la guerre pas un Français n’aurait dû échapper. Koutouzov ne lance pas l’hallali. Les Français une fois encore sont canonnés, ils éprouvent par ailleurs de graves pertes, mais font leur jonction avant de se replier à nouveau sur Krasnoé en arrière. Ils étaient presque certains que Ney et son 3ème corps étaient désormais prisonniers. L’héroïque maréchal Ney qui devra d’ailleurs beaucoup à ce fait le surnom de « brave des braves » était en effet en fâcheuse posture.

Encerclé lui aussi, il s’était frayé avec 8 000 hommes un chemin avant de se trouver devant les troupes de Miloradovitch, avec un peu moins de 6 000 survivants, c’était le 17 novembre. Le général russe lui offre la reddition, qu’il repousse. Au contraire il attaque mais il est taillé en pièces et repoussé. Une seconde offre de capitulation est faite par Miloradovitch, que Ney repousse également. Les Russes sûrs de leur succès ne bougent pas. Ney à cette occasion s’est réfugié dans un bois de bouleau, il fait allumer des feux, puis se remet en marche par un chemin de traverse suivant une rivière qu’il traverse talonné par les Cosaques. La marche dura deux jours et deux nuits, dans des conditions abominables, notamment climatiques. Le 20 novembre, il rejoignait avec 1 000 survivants la Grande Armée où il est accueilli en héros.

Les Russes gagnent une grande victoire, la plus grande depuis de début de la campagne. Toutefois les pertes sont difficiles à estimer pour Napoléon. Peut-être 8 à 12 000 tués et blessés, plus de 20 000 prisonniers, 200 pièces de canon, une énorme quantité de bagages pour à peine 5 000 Russes hors de combat. La bataille de Krasnoé sonnait le glas de la Grande Armée. Cependant, malgré le succès, Alexandre 1er entra nous l’avons dit dans une fureur indescriptible contre Koutouzov : l’armée française s’était échappée, l’occasion de finir la guerre était perdue, une autre allait pourtant se présenter du côté de la Bérézina… Etait-il toutefois si facile d’en finir avec Napoléon ?

Le Prince Davidov écrivait à propos du 15 novembre :

« Dans l'après-midi, on a aperçu la Vieille-Garde, entourant Napoléon… les soldats ennemis, tout en observant notre indiscipline mais tenant leurs fusils prêts, ont continué leur chemin sans se hâter. Comme un bloc de granit, ils semblaient invulnérables. Je n'oublierai jamais l'incroyable résolution de ces soldats, pour qui la menace de la mort est une expérience quotidienne et familière. Avec leurs grands chapeaux en peau d'ours, leurs uniformes bleus, leurs ceintures blanches, leurs panaches rouges, leurs épaulettes, ils ressemblaient à des pavots sur le champ de bataille enneigé… Colonne après colonne, nous dispersant avec leurs fusils et se moquant de notre dérisoire chevalerie… La garde impériale avec Napoléon parmi eux traversa les rangs de nos Cosaques comme un navire de 100 canons aurait traversé une flottille de bateaux de pêche ».

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала