Quand beauté et bêtise s'accordent

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Je ne voudrais pas être méchante, mais franchement, parfois, la moutarde me monte au nez. Le cas de Miss Terre ne fait pas exception.

Je ne voudrais pas être méchante, mais franchement, parfois, la moutarde me monte au nez. Le cas de Miss Terre ne fait pas exception. J’ai beau reconnaître l’extrême beauté de cette charmante jeune fille, je ne saurais me montrer aussi enthousiaste vis-à-vis de ses qualités intellectuelles. Pourtant, une bonne moitié des lecteurs rétorqueront que j’ai tort, que je suis, malgré ma jeunesse, vieux jeu, que, dans un esprit paradoxalement soviétisant pour moi, je m’oppose à la liberté d’expression. Or, il n’en est rien. J’ai peut-être bien tort, mais la liberté de conscience n’y est pour rien. Je rappelle les prémisses de cette brève histoire.

Mlle Pereverzeva, 24 ans, a gagné le titre de Miss Terre en 2011. Ce moi-ci, elle a été invitée à Sydney pour un nouveau concours où on lui a demandé – comme à toutes les candidates présentes – de présenter la vision qu’elle avait de son pays. Je cite : « Ma Russie – c’est un pays grand et pauvre qui souffre, déchiré par des hommes impitoyables, malhonnêtes et radins, qui n’ont ni foi ni loi (…). Ma Russie, c’est un mendiant ».

Bon. Ces répliques veulent dire ce qu’elles veulent dire. Elles sont parfaitement explicites. Mais voici venir la deuxième partie, celle-là autrement plus appétissante : notre beauté prétend aimer la Russie nonobstant les tares certaines de cette dernière, nonobstant l’esprit de vassalité qui caractérise une population se refusant à lutter contre ses usurpateurs. Elle l’aime malgré ceci, malgré cela, elle est fière d’appartenir à une nation aussi talentueuse et glorieuse que l’est la nation russe. Ce passage émotif aux accents avoisinant le pathétique a conquis un certain nombre d’auditeurs avisés ne voulant certainement pas noircir outre mesure l’image d’une si belle et si jeune femme. Pour autant, faudrait-il perdre la tête en se réfugiant dans une indulgence infondée ? Analysons l’incident pour élargir ensuite, chiffres à l’appui, nos considérations.

Primo, la notion de misère est une notion stricte, déterminée selon des critères concrets de nature socio-économique. On ne brandit pas de tels termes à la légère, par accès d’humeur. D’après les estimations de M. Sapir, de M. Blot et d’autres éminents économistes, la Russie, en matière de parité du pouvoir d’achat, détient le 6-ème PIB du monde, la France détenant, à titre d’exemple, le 8-ème. Ces décomptes flatteurs n’appartiennent d’ailleurs pas directement aux experts en question mais aux données fournies par le FMI. Je le verrais mal en train de falsifier ses chiffres. A quoi bon ? Autres chiffres : d’après ce même FMI, la Commission européenne, Global Insight, le service fédéral russe des statistiques, il s’avère que le PIB russe s’est accru, début 2012, de 4,2 pr. ce chiffre étant légèrement supérieur pour la production industrielle marquée par une hausse de 4,7 pr. Toujours en guise de comparaison : les USA, durant la même période, n’ont accru leur PIB que de 1,6 pr. A méditer … D’une façon générale, il se fait qu’après une brève période de récession en 2008, l’économie russe se prévaut d’une stabilité qu’elle ne semble pas prête à perdre. Alors, que reste-t-il du lyrisme amer de Mlle Pereverzeva ? Oui, je sais ce qu’on va me répondre : « cette jeune splendeur parle d’une certaine catégorie d’individus, manifestement au pouvoir, qui parasitent les masses en se partageant des fortunes indicibles … » Objection, hélas, terre-à-terre, car je suis terre-à-terre. Il y a aujourd’hui près de 53 oligarques russes en Russie et dans le monde. Soit, un chiffre partagé en Allemagne dont aucun pays ne devrait se targuer. Ces 53 oligarques tellement diabolisés – et à juste raison – quelle que soit l’ampleur de leurs appétits, suffisent-ils à parasiter à tel point l’économie russe que la population y est en masse misérable ? Le sujet est certes sensible, certes délicat, peu chiffrable, en effet, ce qui ne veut pas dire qu’il faille l’occulter à des fins personnelles souvent douteuses. Autre aspect notable : M. Blot, économiste précité, a récemment publié un livre-enquête éloquemment intitulé « L’oligarchie au pouvoir ». Il se trouve que cette dernière, inhérente comme elle est à la réalité française, ne se limite pas seulement au milieu politique. Cela pour dire, en définitive, qu’il n’y a rien d’exceptionnel dans ce que décrit, usant d’exagérations hallucinantes, Miss Terre. S’il y a un facteur ambivalent qui enrichit tout autant qu’il freine la Russie, c’est son envergure. Un pays aussi grand qui ne doit surtout pas perdre le contrôle de ses multiples frontières, peut-il atteindre les provinces les plus profondes en un laps de vingt ans ? Je ne crois pas. Il faut aussi se dire que des sommes immenses sont en ce moment investies dans l’armée : 48 milliards de dollars annuellement, chiffre promis à une nette augmentation, Poutine ayant procédé à un réarmement total.

Secundo. Mon secundo reprendra la deuxième thèse-clé de Mlle Pereverzeva quant au fait que les russes se sentent malheureux. Au risque de m’égarer, j’avancerais tout de même que la notion de malheur est subjective, donc, relative. Comment peut-on exprimer en chiffres la part des heureux, très heureux, assez heureux ou malheureux. J’omets encore bien des sous-catégories de classification ! A ce sujet, je suis tombée sur un sondage publié sur gazeta.ru : « Ils étaient soviétiques, ils sont devenus orthodoxes ». Les révélations que j’y ai trouvées m’ont laissées pour le moins pantoise. Ainsi : il semblerait que, selon les données du centre Levada, 70 pr. de la population considère qu’il vaut mieux être citoyen russe que citoyen de n’importe quel autre pays. 48 pr. pensent que la Russie est le meilleur pays du monde (contre 36 pr. en 1996). 62 pr. regrettent d’être moins fiers de leur pays qu’ils ne l’auraient voulu. 34 pr. estiment que le monde serait meilleur si les étrangers ressemblaient (je ne sais en quoi) aux russes. Ceci étant, seulement 11 pr. des sondés ont confié qu’ils croyaient faire partie intégrante de l’Europe, fait intéressant et symptomatique puisqu’au début des années 90, soit, tout de suite après l’éclatement de l’URSS, 30 pr. des interrogés affirmaient ressentir un lien très fort avec l’Europe. La conclusion qu’en tire les sociologues, conclusion bien entendu désobligeante, contredit toute logique : selon ces derniers, la déseuropéisation des mentalités témoigne d’un complexe d’infériorité en progression sous le régime Poutine. Incroyable ! Il se fait donc que, durant les années noires, lorsque la Russie était quasiment répudiée au rang d’un pays du tiers-monde, la population s’identifiait davantage comme européenne et avait conséquemment plus d’estime pour soi. Je vous laisse apprécier l’immense contradiction qui ressort du raisonnement. Un peu plus loin, les auteurs de l’article évoquent un complexe de supériorité que les russes cultiveraient artificiellement pour masquer leurs multiples complexes. La sophistique bat son plein ! Ou sont donc les faits ? En dehors d’une interprétation hasardeuse et toujours, par tradition, autoflagellatrice, je ne vois que du vent … et de la mauvaise foi. De quoi aligner la teneur interprétative de l’article aux élucubrations de Miss Terre. Une seule source confirme à 90 pr. d’interrogés (sur un échantillon de 1000 personnes) ses propos. Mais alors faudrait-il penser que les données du centre Levada, relevées il y a près d’un mois, sont fausses ou truquées ? Le problème réside dans le fait qu’aucune source n’a jusque là publié le sondage en question, c’est-à-dire le sondage portant sur les confidences de Mlle Pereverzeva, il se révèle donc difficile de vérifier leur objectivité …

Tertio, si selon les estimations d’IFOP, 75 pr. des français déplorent la progression de l’islam en France, 66 pr. pensent qu’il y a trop d’immigrés et 72 pr. crient au loup quand ils entendent parler des pleins pouvoirs de Bruxelles, ce n’est pas une raison suffisante pour en conclure au malheur généralisé des français.

Voyez-vous, je n’ai jamais porté les maths dans mon cœur. Force m’est de constater, cependant, qu’il ne reste parfois que les chiffres pour exorciser la sottise et l’irresponsabilité.

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