La période glaciaire européenne grâce aux States

La période glaciaire européenne grâce aux States
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Dans le monde de la haute finance internationale – russe, suisse ou proche-orientale, l’associé de la banque suisse Lombard, Odier et Compagnie Arnaud Leclercq est un oiseau de très haut vol.

Cet écumeur de la planète est docteur ès sciences géopolitiques et par-dessus le marché auteur de plusieurs livres à succès. Nous lui avons demandé de se prononcer sur l’affaire gazière qui semble opposer beaucoup plus le Vieux Continent et les States que l’Europe à proprement parler et la Russie.

Voix de la Russie. Les journalistes italiens ont décortiqué l’affaire du gazoduc Southstream dont la construction serait interdite aux Bulgares par les Américains. Mais finalement c’est l’Europe du Sud qui va en pâtir. Pourriez-vous nous donner vos commentaires ?

Arnaud Leclercq. Dans cette situation qui rappelle un petit peu la crise ukrainienne, au mois sur le plan économique et gazier, les dindons de la farce seront probablement les Européens en premier lieu. Aujourd’hui l’Europe importe à peu près 30% de son gaz de Russie… On a fait le choix (en tout cas pour certains pays) de ne pas produire de gaz de schiste sur leur territoire : il s’agit de la France et d’autres pays… Mais l’Europe continue paradoxalement à décider d’interrompre, voire de cesser la production de l’énergie nucléaire ce qui amène au paradoxe extraordinaire pour certains pays comme l’Allemagne de finalement utiliser l’énergie la plus polluante qui existe, à savoir le lignite ou le charbon ; Le gaz, comme on le sait, est beaucoup moins polluant ; Donc c’est aussi dans l’intérêt des Européens au sens écologique et sanitaire du terme, de diversifier ses sources d’énergie et le gaz en est une des très importantes !

Effectivement, comme on l’a vu avec la crise ukrainienne, que la Russie finalement pouvait presque couper, comme elle l’a fait d’ailleurs, la livraison de gaz en contournant l’Ukraine et en passant par le Northstream. Il y a aussi un autre pipe-line qui part de Yamal et les deux sont à destination de l’Allemagne.

Ces 2 gazoducs ont déjà à eux la capacité plus importante. Donc en contournant l’Ukraine et en se concentrant sur ces deux-là principalement, le risque de crise qu’il y avait eu en 2006-09 n’est plus déjà tout à fait vrai ! Mais il est quand même extraordinaire que l’on lit dans beaucoup de journaux : « Attention ! L’Europe ne doit plus dépendre du gaz russe parce que si, une fois encore, le robinet qui passe par l’Ukraine est coupé, les pays européens ne seront plus livrés ! » Cette information est en grande partie fausse aujourd’hui puisqu’il y a d’autres chemins !

Quels sont les pays qui souffriraient de cette rupture de gaz par l’Ukraine et via le gazoduc Southstream? Ce n’est pas l’Allemagne mais surtout les pays du Sud. C’est surtout l’Italie qui reçoit aujourd’hui l’essentiel du gaz qui transite par l’Ukraine. Après vous avez la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie… Il existe des routes parallèles.

On peut comprendre que le risque principal aujourd’hui généré par cette décision semble davantage nettement politique qu’économique…

La décision qui coïncide avec cet arrêt du financement de la construction de ce gazoduc Southstream, est effectivement concomitante à la visite des deux sénateurs américains, dont John McCain, qui se sont prononcés de façon assez négative par rapport à la Russie. Ils l’ont dit, écrit et clamé pendant la crise ukrainienne. Voyons d’abord dans cette décision quelque chose de strictement politique et perçu comme une menace aux intérêts de la Russie. Mais je ne pense pas que les intérêts de la Russie soient particulièrement menacés dans cette affaire… En fait le Président Obama a proposé le 26 mars de remplacer le gaz russe par le gaz a méricain ! Cette déclaration a été faite tout à fait officiellement. Et assez paradoxalement le Président de la Commission Européenne Manuel Barroso a trouvé cette idée très bonne : une « bénédiction pour le monde » ! Voyez, cela ne s’invente pas !

On peut comprendre en realpolitik les intérêts des différents pays c’est-à-dire diversifier ou livrer de tel endroit à tel endroit… C’est une chose assez saine et factuelle mais de là à dire que c’est une « bénédiction pour le monde » !!! C’est tout de même assez extraordinaire comme commentaire !

Au final, les Américains aujourd’hui et dans les années qui viennent ne sont pas capables d’exporter leur gaz en Europe ! Il faudra expliquer quel gaz sera livré à l’Europe si ce n’est pas le gaz américain dans les prochaines années. Et a priori, sauf erreur de ma part, le gaz russe est quand même meilleur marché et plus proche ! Là-dessus on se demande s’il ne s’agit pas d’un bluff de la part des Etats-Unis parce que les licences d’exportation accordés par le président Obama permettraient de couvrir les besoins de l’Europe toute entière ! Là aussi c’est invraisemblable comme commentaire et ce qui l’est encore plus, c’est que très peu de commentaires sont faits à ce sujet ! Mais les Etats-Unis sont aujourd’hui importateurs nets de gaz et de pétrole au niveau d’une dizaine de % pour simplifier ! Comment ce pays peut-il se transformer en exportateur gigantesque qui va fournir toute l’Europe : l’Europe du Nord et celle du Sud et l’Europe Centrale ? C’est un petit peu invraisemblable ! En plus les licences d’exportation accordées doivent être avalisées à deux niveaux. Vous avez d’abord le Département d’Energie des Etats-Unis qui accorde une licence et, grosso modo, vous pouvez l’obtenir extrêmement facilement : vous envoyez un fax et vous payez 1.000 dollars – je caricature ! – et vous obtenez cette licence d’exportation assez facilement. C’est probablement à ce niveau de licence que faisait allusion le Président Obama… Ce que le Président Obama a omis de dire c’est qu’il y a un autre niveau de licence d’exportation qui doit être obtenu pour avoir le droit d’exporter du gaz ou du pétrole des Etats-Unis puisqu’il y a une interdiction d’exporter depuis 1975 ! Il s’agit d’une autorisation accordée par l’Agence Fédérale qui considère toutes les requêtes d’entreprises américaines souhaitant exporter. Techniquement parlant, selon le droit américain, cette licence est très difficile à obtenir. Cela peut prendre en moyenne une trentaine de mois pour l’obtenir et vous devez passer si vous êtes une entreprise américaine par beaucoup d’obstacles : environnementaux, sécurité, différents impacts, etc. Cela coûte entre 50 et 100 Millions de dollars !

Autant dire que même si l’industrie pétrolière est très riche et très importante, cela ne va pas se faire du jour au lendemain. Aujourd’hui les Etats-Unis ne sont pas techniquement capables de remplacer le gaz russe par du gaz américain, essentiellement du gaz de schiste. Au-delà de ça, ce serait quand même un paradoxe extraordinaire qu’un certain nombre de pays européens interdisent la production du gaz de schiste sur leur territoire pour des motifs écologiques et finissent par en importer des Etats-Unis en l’occurrence ! Et non seulement ce gaz est polluant mais en plus il doit traverser l’Atlantique ! Et le tout pour un prix que les experts estiment à peu près entre 10 et 12 dollars. Finalement le prix du gaz russe livré à l’Allemagne est actuellement 10 dollars 50 ! Grosso modo, pour le même prix, voire peut-être même plus cher !

Dans tout ça il ne faut pas voir une logique d’ordre économique, mais il faut davantage y voir un geste politique fort qui ressemble, pour l’instant en tout cas, à un bluff parce que les Etats-Unis eux-mêmes sont sous le coup d’interdiction d’exportation de ce produit à cause de l’impact sur l’environnement, la sécurité, etc. Ces restrictions sont absolument incontournables. Donc on ne peut pas comprendre le blocage de Southstream par les Européens qui reste pour moi quelque chose d’incompréhensible ! Qui va finalement payer la facture plus chère en se fâchant peut-être avec les Russes ou en important du gaz du Qatar ou de l’Algérie ? C’est élémentaire ! Ce sont les Européens !

Donc on peut comprendre la position américaine ou russe en matière de la concurrence compréhensible sur l’enjeu politique mondial, mais la position européenne est de se tirer une balle dans le pied ! On interrompt un gazoduc censé livrer le gaz à toute la région des Balkans ce qui pose un problème de bon sens tout court !

Il faut quand même aussi savoir que si la Bulgarie, la Hongrie et quelques pays autour ont quand même des réserves stratégiques pour 90 jours, malheureusement, la Grèce et la Roumanie n’ont quasiment pas de réserves stratégiques ! Alors s’il doit y avoir une interruption de livraison de gaz pour une raison X ou Y, certains de ces pays pourraient tenir un certain temps, mais d’autres aussi bien que la Turquie, seraient les plus gênés. Les Européens ne sanctionnent pas la Russie : ils se sanctionnent eux-mêmes !

Commentaire de l’Auteur. Pour l'amour de l’Amérique l’Europe se châtre joyeusement. Décidément quand on aime, c’est à jamais et sans raisons cérébrales ! Une histoire d’amour qui dure et dure encore ! Cependant l’argumentaire étant plus que suffisant, je me dis qu’en fait les Etats-Unis ne visent pas la Russie qu’ils ne sont pas en mesure d’atteindre la Russie étant parfaitement autonome, très fortement armée et avec des alliés en béton du type la Chine et l’Inde… C’est la vieille Europe qui se trouve dans leur collimateur. La vache européenne ne leur apporte plus de lait mais les empêche avec ses produits et son système monétaire – l’euro ! – égalant le dollar. Autant éliminer un concurrent et en affaiblir un autre. Maintenant, à supposer que la Commission Européenne l’emporte, non seulement l’Ukraine avec son gouvernement nazi va geler en hiver, mais également l’Europe du Sud qui n’aura pas de quoi se chauffer. Et ce sera une riposte des Russes pour faire payer aux Européens le sang des frères slaves tués dans l’immolation sauvage du Sud-Est ukrainien, une opération soutenue à fond par la France hollandiste ! Les Russes n’ont pas à venir en Europe et en Ukraine : il leur suffit de couper le robinet tout juste pour observer tranquille l’agonie économique de leurs ennemis.

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