Quel sens attribuer aux provocations de Khodorkovski ?

Quel sens attribuer aux provocations de Khodorkovski ?
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On a fait de la Marche pour la paix une espèce de tempête dans un verre d’eau. Mais justement, qui ça « on » et dans quel but ?

La Marche pour la paix qui a eu lieu dimanche à Moscou aurait rassemblé 100.000 manifestants. Certains grands mathématiciens auraient même cru en apercevoir 200.000, sans doute suite à un effet d’optique lié aux impacts de la transition saisonnière. Ni M. Nemtsov, ancien Ministre de l’Energie sous Eltsine, ni M. Kozyrev, ancien Ministre des Affaires étrangères, toujours sous Eltsine, ne furent épargnés. Ces chiffres, enflés d’une manière hallucinante, font pendant à l’énormité des slogans affichés et au surréalisme de l’ambiance générale qui avait accompagné cet étrange défilé. Or, la veille, M. Khodorkovski, ancien patron de Ioukos gracié l’an dernier par Poutine, annonça le lancement d’une plateforme « pro-européenne » en prévision des élections parlementaires de 2016. Devrait-on le prendre au sérieux ?

Adressons-nous aux faits et rien qu’aux faits.

Il est établi – et, plus sceptique que Saint Thomas, je me suis rendue sur les lieux pour vérifier – le nombre de manifestants ne dépassaient pas les 10.000. La police avait annoncé 5000 personnes. Non, soyons objectifs, le nombre était deux fois plus grand. Mais ceci étant dit, que représentent 10.000 personnes comparé à grosso modo 12 millions ? Bref, on a fait de cette Marche une espèce de tempête dans un verre d’eau. Mais justement, qui ça « on » et dans quel but ?

Pour mieux le comprendre, il conviendrait de se demander si tout ce beau monde qui ne se sentait pas même embêté par la présence de drapeaux bandéristes faisant concurrence aux drapeaux ukrainiens était véritablement sorti pour faire valoir les slogans soi-disant pacifistes ornant leurs banderoles. Si ces gens-là se disent politiquement engagés, ils devraient savoir que la paix qu’ils revendiquaient avec tant de ferveur et de verve tient avant tout au respect du protocole de Minsk par Kiev, protocole qui a été joyeusement violé aussitôt après sa signature. L’exhumation des corps de la fosse commune de Nijniaïa Krinka, pour ne citer qu’un exemple, ne semble guère hanter les esprits torturés des libéraux russes. Pourtant, la Garde nationale et les bataillons punitifs s’y sont pris d’une façon qui aurait fait pâlir les bouchers du III Reich. Et bien non ! C’est toujours Moscou qui est en question. Le gouvernement kiévien, sempiternellement mal compris, est l’innocence incarnée. Il faut donc se mettre à l’évidence : ces défenseurs de la « paix » sont en fait les défenseurs de Kiev, donc, de cette Pax Americana qui s’exerce à travers l’équipe des Porochenko et Iatseniouk. Simplement, ont-ils conscience de défendre ce qu’ils défendent ? La question est plus complexe. Ce qui est clair, c’est que la plupart de ces gens ont été adroitement « matraqués » par les médias dits libéraux auxquels ils prêtent foi avec une piété étrangère au sens critique. Et il faut dire qu’ils ont l’embarras du choix, 50 % des médias russes étant sponsorisés de l’extérieur (contre 20 % en Occident !).

Le but final est double. Primo, il s’agit de légitimer à l’avance une tentative de coup d’Etat encore rêvée, certes niaisement, par la clique néoconservatrice américaine. Ces gens-là sont pour la paix, nous dit-on ! Donc, la révolution qu’ils pourraient préparer est d’une noblesse incontestable. Le spectacle auquel la capitale a eu droit dimanche dernier était surtout réservé aux oligarchies occidentales et au mainstream médiatique que ceux-ci orientent comme le vent de frêles voiliers. Secundo, toujours dans cette optique néo-impérialiste qui vient d’être mentionnée, il faut frapper la Russie à l’intérieur de ses frontières puisque la stratégie consistant à lui assener un coup décisif en Ukraine soi-disant au nom de cette dernière a échoué.

Nous en venons au véritable rôle de M. Khodorkovski. L’analyse que fait l’Expressde son « choix européen » n’est pas sans renvoyer au choix « démocratique » qu’auraient soi-disant fait les pays bénéficiaires des fameuses révolutions oranges (pour les ex-républiques soviétiques) et des printemps pourris pour le monde arabo-musulman. Le fait de considérer les manifestants « pour la paix [en Ukraine] » comme des « pro-européens » dévoile bien l’enjeu de cette affaire pernicieuse : diviser la société autant que possible selon des critères faussement civilisationnels. Les autres, seraient-ils pro-asiatiques ? Antidémocrates ? Le mouvement de Khodorkovski dont le joli nom, « Open Russia » ou littéralement Russie ouverte laisse supposer que la Russie est un pays fermé, totalitaire, obscur, qu’il conviendrait d’ouvrir à la civilisation comme une coquille Saint-Jacques à la lumière. Et c’est là qu’il y a anguille sous roche !

Juridiquement parlant, le grand ami de Bush aîné ne peut pas se présenter aux élections ayant un casier judiciaire pour le peu garni. Il serait temps d’énumérer les « bonnes œuvres » qui l’ont conduit en taule. Je vous conseille à ce titre un remarquable article de William Engdhal, économiste et écrivain, intitulé « Qui est Mikhaïl Khodorkovski » ? Voici donc, synthétiquement, les exploits du futur « libérateur » de la Russie.

- Appropriation par escroquerie de biens de l’Etat à l’époque eltsinienne. Ceux-ci étaient vendus aux enchères, la vente ayant été organisée par la propre banque de l’oligarque. Et on s’acharne encore contre le pauvre Cahuzac, un enfant de chœur ?

- Complicité de meurtre, en 1998, du directeur de la Bank of New-York qui aurait trompé la mafia russe de l’époque alors qu’elle était impliquée dans un vaste trafic de blanchiment d’argent sale.

- Enfin et surtout, en réalité, tentative de coup d’Etat en 2004. M. Khodorkovski avait tenté d’acheter des places à la Douma en vue des élections qui s’annonçaient pour ensuite adapter les lois relatives au droit d’acquisition des gisements pétroliers et des pipe-lines. Cette opération ratée était entre autres épaulée par Lord Rothschild.

Partant de là, est-ce que M. Khodorkovski peut encore prétendre se manifester sur la scène politique russe ? Voilà qui serait kafkaïen. L’Occident en a aussi bien conscience que lui. Il en découle que son rôle est celui d’un agitateur pragmatiquement idolâtré par la presse occidentale. Une illusion qui ressemble un peu, du point de vue du principe, aux glorieux leaders d’une ASL inexistante. Quand donc nos génies washingtoniens changeront-ils de tactique ? Parce que là, franchement, le scénario devient redondant.

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