Contribuables associés: «L’heure est venue de faire le ménage dans les comptes publics»

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Avec 17 millions de numéros de sécurité sociale en trop, la fraude sociale en France pourrait s’élever à des dizaines de milliards d’euros par an. Un problème trop souvent minimisé. Eudes Baufreton, délégué général de Contribuables associés, réagit à la publication d’un rapport parlementaire qui a mis le feu aux poudres.

Les centenaires seraient dix fois plus nombreux en France… que dans le monde. C’est l’une des perles administratives mises au jour par la mission parlementaire dirigée par la sénatrice UDI Nathalie Goulet et la députée LREM Carole Grandjean. Les premiers résultats, dévoilés le 3 septembre, sont sans appel: selon une lettre adressée aux deux parlementaires par la direction de l’INSEE, la France compte 17 millions de numéros de sécurité sociale de plus qu’elle n’a d’habitants recensés, dont 3,1 millions de centenaires réputés en vie, alors que selon ce même INSEE l’hexagone n’en comptait que 21.000 en 2016.

​«C’est pathétique», réagit crûment à notre micro Eudes Baufreton, délégué général de Contribuables associés, qui plus est à l’heure où les Français n’ont jamais été autant sollicités fiscalement.

«On nous demande de faire des efforts et en même temps l’Administration –qui gère en notre nom ces sommes-là– ne fait pas le travail! Ce n’est pas acceptable. Je demande aux politiques et à l’administration d’appliquer des mesures fermes.»

Soulignons qu’avec des prélèvements obligatoires représentant 48,4% du PIB en 2017, la France est championne du monde de la pression fiscale, ce qui ne l’empêche pas d’avoir une dette publique record de plus de 2.350 milliards d’euros ainsi que de voir baisser en permanence les prestations sociales des Français. Si ces fraudes aux prestations sociales sont «la goutte d’eau qui fait déborder le vase», c’est parce qu’aux yeux d’Eudes Baufreton, elles ne font qu’illustrer la mauvaise gestion générale de l’argent public.

«C’est inadmissible, c’est révélateur de pratiques qui sont tolérées par l’Administration, de pratiques qui sont connues! Parce que, malgré ce que certains politiques essaient de faire croire –et je vois bien qu’il y a des sénateurs qui essaient de minimiser la fraude ou alors de faire croire qu’elle est uniquement le fait des entreprises qui ne paieraient pas leurs cotisations–, la réalité, ce n’est pas ça!»

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Il faut dire que contrairement à la fraude fiscale, la fraude sociale en France est un sujet particulièrement sensible. Déjà fin 2018, lorsque le magistrat Charles Prats, spécialiste de la lutte contre la fraude fiscale et sociale, tirait le signal d’alarme, celui-ci s’était vite retrouvé face à une levée de boucliers, jusqu’au palais Bourbon.

Revenant sur des investigations effectuées lorsqu’il était responsable de la coordination de la lutte contre la fraude aux finances publiques au ministère du Budget de 2008 à 2012, cet ancien inspecteur des douanes à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) évoquait l’existence de 1,8 million de numéros de Sécurité sociale en 2011 «potentiellement attribués sur la base de faux documents». Évoquant les conclusions de la Police aux Frontières (PAF) et de l’INSEE, le taux statistique de fraudes sur le fichier des personnes nées à l’étranger (NIR) s’élèverait à 10,4%, développe Charles Prats, ce qui représenterait «potentiellement 14 milliards d’euros» de fraude par an.

«Il y a deux ans, Nathalie Goulet a interrogé au Sénat le gouvernement Hollande […] et là, la ministre qui répondait lui a dit royalement “nous avons fait 500 demandes d’information”… pendant cinq ans, sur un stock de 18 millions de dossiers et sur 1,8 million de dossiers potentiellement frauduleux», relatait alors le magistrat au micro de Jean-Jacques Bourdin.

Pour autant, ces estimations de l’ancien juge d’instruction –basées sur son expérience et des dossiers passés devant la justice– avaient été contestées par une partie de la presse. Certains affirmeront que Charles Prats aurait évoqué «de manière un peu hâtive un “scandale d’État”». L’argument de la «chasse aux pauvres» fut brandi à gauche et dans la foulée, l’Assemblée nationale refusait de créer une commission d'enquête. Pour enfoncer le clou, dans le rapport présenté au mois de juin par le sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe (ancien UDI ayant rejoint LREM), missionné par la commission des Affaires sociales du Palais du Luxembourg, le Sandia - service de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) chargé de l'immatriculation des personnes nées à l'étranger -, évaluait le préjudice causé par les fraudes à l’immatriculation à la sécurité sociale par des personnes nées hors de France «entre 200 et 802 millions d’euros» depuis… 1988.

Les entreprises à l’origine de la fraude sociale? Une rhétorique développée à nouveau aujourd’hui par certains observateurs, selon lesquels la fraude sociale, «champ de bataille d’une droite revancharde qui ne supporte pas l’État social», serait en réalité «minime» et principalement le fait d’entrepreneurs, soulignant le taux de 30% avancé par la Cour des comptes concernant la part des fraudes aux prestations sociales qui seraient commises par les professionnels médico-sociaux libéraux. Un chiffre qu’auraient été «contraintes» d’évoquer les deux parlementaires «de droite» à l’origine du dernier rapport.

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Si le manque de chiffrage exact du montant de la fraude sociale (par essence dissimulé) est régulièrement reproché à ses dénonciateurs, on remarquera qu’à l’inverse, les estimations concernant la fraude fiscale –estimée entre 80 et 100 milliards par un syndicat de Bercy– vont bon train dans la presse malgré l’absence de base méthodologique soulignée par certains journalistes économiques.

Pourtant, en ne reprenant que les résultats d’une étude menée par l’université de Portsmouth –mise en avant par les deux corapporteuses– 3 à 10% des montants reversés au titre des prestations sociales, à l’échelle d'une dizaine de pays, le serait à des fraudeurs. En France, le montant des prestations sociales reversées représente plus de 450 milliards d’euros. Au regard de ce seul montant, les 14 milliards de fraudes potentielles avancés par Charles Prats font figure de strict minimum d’une fraude qui, sur le papier, pourrait potentiellement monter jusqu’à 45 milliards d’euros.

«On n’est pas dans une démocratie mature si effectivement on ne peut pas dénoncer ce genre de pratique, dès lors qu’elles sont illégales, et chercher à y mettre fin honnêtement sans avoir des freins en permanence», estime notre intervenant.

Quel que soit le montant de la fraude sociale, pour Eudes Baufreton, chaque euro reversé à un fraudeur par l’Administration est un euro de trop prélevé dans les poches des Français. «C’est quand même de l’argent que les Français ont payé!», martèle le responsable associatif, qui dénonce une «force d’inertie», tant au niveau de l’exécutif –qui ne veut pas y voir un problème de fond– que des administrations qui refuseraient la mise en place d’un recoupement des bases de données au nom du risque de «flicage». Pour le président de Contribuables et Associés«l’heure est venue de faire le ménage dans les comptes publics.»

«Je pense que si l’argent était prélevé sur leur propre compte en banque, à ces politiques ou ces personnels d’administration qui gèrent l’argent des Français, je pense très honnêtement qu’il y aurait une prise de conscience et que les mesures seraient appliquées. Mais comme c’est l’argent des autres, au nom de la politique générale, peut-être aussi de la paix sociale […], on arrive à des situations ahurissantes comme celles-ci», développe Eudes Baufreton.

Ce dernier revient notamment sur la fin de non-recevoir qu’il a reçue de la part de la ministre des Solidarités et de la Santé et des courriers qu’il a dû envoyer au Premier ministre, ainsi qu’au président de la Cour des comptes, en espérant faire bouger les lignes. Des courriers qui faisaient suite à la publication d’un rapport de la Cour des comptes en septembre 2017, qui planchait sur un montant de 200 millions d’euros concernant les fraudes aux pensions de retraite versées à l'étranger.

Une «inertie» que notre intervenant explique par «une vraie volonté de mettre tout ça sous le tapis», à laquelle s’ajoute une perception de l’impôt dans son ensemble propre à l’Administration. Une administration qui, aux yeux du Président de Contribuables associés, semble oublier que tous les Français y sont d’une manière ou d’une autre soumis… et pas seulement les «riches».

«C’est là que l’idéologie intervient. Dans les administrations, il y a ce sentiment que l’argent il y en a, que les Français en ont. C’est une espèce de tout et puis finalement, le système de collecte et la manière dont on tond un peu les Français sont tellement bien huilés que ça passe. De temps en temps, il y a des soubresauts type mouvement des Gilets jaunes, mais temps que ça ne secoue pas plus que cela, ma foi, la vie continue», développe-t-il.

Des fraudes très «localisées», souligne le président de Contribuables associés. «C’était l’Afrique du Nord– Algérie, Maroc–, l’Europe du Sud –Italie, Portugal et puis Espagne» relate-t-il, «on se rend compte que dans ces pays-là, il y a des gens qui perçoivent des retraites en France et qui ont 110, 120, 130 ans et personne ne contrôle.»

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Des pensions reversées notamment à des citoyens étrangers ayant travaillé en France et repartis dans leurs pays d’origine, mais dont les actes de décès ne sont pas nécessairement communiqués à l’administration française. Aucune preuve de vie n’étant demandée par cette dernière, les personnes restent inscrites au fichier et les versements continuent, quasiement aucun contrôle n’étant par ailleurs effectué.

Pour éviter ce type de fraude, les mesures avancées cette semaine devant la presse par les deux parlementaires –telle qu’un passage au biométrique pour les Cartes vitales– lui semblent «pertinentes», dès lors que l’on «contrôle et gère mieux» –et ce malgré le surcoût que cela générera. «Il n’y a pas de raison que l’on ne sache pas à qui on verse telle ou telle prestation et si c’est dû ou pas dû», insiste-t-il. Pour Eudes Baufreton, il faut s’assurer que «derrière un numéro, il y ait bien une personne» et que l’identité de cette dernière corresponde bien à la personne recevant dans les faits les prestations. «On sait que dans certaines communautés, les cartes se baladent et qu’il est difficile de savoir si la personne en face correspond à la personne de la carte», ajoute-t-il.

«J’ai entendu dire, à plusieurs reprises, qu’il y avait tout un business de Cartes vitales. Des gens qui n’étaient pas assurés louaient pour la journée une carte vitale afin de bénéficier de toutes les prestations auprès des professionnels de santé. La location était entre 100 et 150 euros la journée, me disait-on», relate le Président de Contribuables associés.

Ce dernier évoque également des témoignages qu’il aurait reçus de fonctionnaires désabusés, «eux aussi paient des taxes et cotisent», qui «en fonction des directives qu’ils ont reçues, sont plus ou moins laxistes» dans l’instruction de certains dossiers.

Des fraudes qui pèsent sur le consentement des Français à l’impôt. «Qui a envie de payer pour des fraudeurs?», interroge notre intervenant. «Je ne me lève pas le matin pour travailler et payer des impôts pour financer des fraudeurs et un laxisme de l’autre côté. Je n’abonde pas dans ce système-là […] je ne vois pas qui abonde ça!», s’insurge-t-il. Un coup dur également pour l’économie du pays à long terme.

«Les effets vicieux que l’on ne voit pas, ce sont les créations d’emplois qu’il n’y a pas en France. On parle de l’exil fiscal, mais il faut savoir que l’exil économique des jeunes est bien plus préjudiciable […], parce qu’ils vont créer des emplois à l’étranger, ils vont créer de la valeur ajoutée à l’étranger…»

Quoi qu’il en soit, pour notre intervenant, la mise en place de mesures de contrôle et –à terme– d’assainissement du système social en France nécessitera un certain niveau de courage politique.

«Je trouve qu’aujourd’hui en France, ce sont les Français qui sont au service de l’administration et de la politique. Tant qu’on n’aura pas changé ça, effectivement on n’arrivera à rien», conclut-il.

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