Accord israélo-émirati: «Il y a un grand basculement géopolitique qui est en train de s’opérer»

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C’est une victoire pour certains, un affront pour d’autres, mais la reconnaissance d’Israël par les Émirats arabes unis n’a laissé personne indifférent au Moyen-Orient. Pour Sputnik, Roland Lombardi, spécialiste de la région, revient sur les conséquences géostratégiques de cette normalisation des relations entre un pays arabe et Israël.

«Jour historique», «nouvelle ère», «une énorme avancée». Certains dirigeants à l’origine ou favorable à l’accord de paix signé par Israël et les Émirats arabes unis n’ont pas fait l’économie de superlatifs lorsqu’ils ont commenté sa signature. Selon ces mêmes acteurs, elle pourrait même entraîner d’autres pays arabes ou musulmans à suivre le même chemin.

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Un effet domino qui changerait radicalement le paysage géostratégique de la région, et ce malgré la défiance affichée de certains pays de la région à la suite de cet accord.

«Cet accord met fin à une certaine hypocrisie historique et diplomatique qui a toujours caractérisé les rapports entre Israël et ses voisins. La quasi-totalité des pays arabes ont eu à un moment ou un autre des relations, certes très discrètes, avec Israël», rappelle Roland Lombardi, historien, spécialiste du Moyen-Orient et auteur de Poutine d’Arabie (éditions VA, 2020).

M.Lombardi en veut pour preuve les précédentes tentatives de normalisation des relations entre des pays arabes et Israël. Au début des années 1980, le Président libanais Bechir Gimayel avait tenté une initiative en ce sens avant d’être assassiné. En 1999, la Mauritanie avait également établi des relations diplomatiques avec Israël mais la tentative avait été abandonnée quelques années plus tard. Enfin, dans les années 2000, le Qatar également avait ouvert une antenne diplomatique à Doha.

Le Qatar, la Turquie et l’Iran de plus en plus isolés

Même l’Iran, ennemi public numéro un d’Israël, a été soupçonné en 2011 d’avoir entretenu de discrètes relations commerciales avec l’État hébreu via un pays tiers. Pour l’historien, ce qui différencie les tentatives précédentes infructueuses de celle des Émirats arabes unis, c’est que «la rue arabe a changé».

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«Il y a un grand basculement géopolitique qui est en train de s’opérer. Aujourd’hui, il n’y a plus que les islamistes soutenus par l’Iran d’un côté et le Qatar et la Turquie de l’autre qui restent hostiles à la normalisation des relations avec Israël», estime Roland Lombardi. 

À l’heure des réseaux sociaux, «ce que veut la jeunesse arabe c’est du travail et la fin de la corruption des États dans lesquels ils vivent», explique-t-il. L’appui populaire à la cause palestinienne n’est plus aussi important qu’il ne l’a été lors des précédentes décennies. Et cela est de nature à encourager des acteurs régionaux à normaliser leurs relations avec Israël.

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Pourtant, d’importantes puissances régionales comme la Turquie et l’Iran ont critiqué avec véhémence la démarche des Émirats arabes unis.

​L’Iran notamment, tenant un discours particulièrement dur vis-à-vis des Émirats: «Si quelque chose se produit dans la région du golfe Persique et si notre sécurité nationale est compromise, aussi minime soit-elle, nous en tiendrons les EAU pour responsables et nous ne le tolérerons pas» a mis en garde Mohammad Hussein Bagheri, commandant en chef du Corps des Gardiens de la révolution islamique. Mais pour Roland Lombardi, le petit émirat n’a pas plus à craindre que des mots de la part de Téhéran.

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«Que ce soit l’axe turco-qatari, ou l’Iran, leurs critiques et menaces à l’égard de cet accord ne sont rien d’autre que de la sémantique. Et ce, car politiquement et économiquement, ils n’ont pas les atouts pour lutter contre l’existence d’un État israélien prospère au Moyen-Orient, ou de l’accroissement de ses relations avec d’autres acteurs régionaux», souligne l’historien.

Et ce sur fond de situation économique difficile en Turquie, comme en Iran, aggravée par l’épidémie du Covid-19.

Selon l’expert, ces États continueront de jouer leur rôle symboliquement sans avoir d’effets concrets sur la cause palestinienne, ni sur les futures normalisations des relations avec Israël et d’autres États de la région.

Au contraire, un pays comme l’Iran pourrait même «mettre de l’eau dans son vin» et infléchir leur position vis-à-vis d’Israël, surtout en cas de réélection de Donald Trump qui maintiendrait une pression insoutenable sur Téhéran, conclut Roland Lombardi.

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