La lettre d’un violeur publiée par Libé en Une pour la Journée des droits des femmes suscite de vives réactions

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La solitude  - Sputnik Afrique, 1920, 08.03.2021
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Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, Libération a publié la lettre d’un violeur et l’a mise en Une. Face à la colère des internautes critiquant un tel choix, le quotidien a dû fournir des explications.

Alma Ménager a été violée par son petit ami un soir d’avril 2019. Elle avait 18 ans. Hospitalisée actuellement pour dépression, elle a reçu il y a peu une lettre de son ancien compagnon dans laquelle il reconnaît sa culpabilité. Libération l’a publiée le 8 mars et s’est retrouvé sous le feu des critiques.

«J’ai violé»

Dans cette lettre, le jeune homme parle pour la première fois de ce qui s’est passé ce soir-là. Assurant être «calme de nature», il avoue avoir «perdu le contrôle» et «senti une cascade de rage se déverser en moi».

«De plus en plus de violence. De plus en plus d’intensité. De moins en moins de considération de l’autre. Je n’ai rapidement plus existé que par les émotions extrêmes et rares que j’éprouvais. Elle, comme morte, s’effaçait lentement dans mon regard devenu primal et animal. J’ai violé.»

S’il reconnaît ce qu’il a fait aujourd’hui, «ce n’est certainement pas» grâce à lui. «Seule la victime a pu m’ouvrir les yeux. Mon vécu, mes connaissances, n’ont pas suffi à me remettre réellement en question, puisque le violeur, c’est l’autre. C’est au mieux ce réalisateur qu’on admirait, le prof de sport de notre frère, ce cousin éloigné, mais jamais soi. Jamais. En l’occurrence, c’est moi.»

D’après Alma, «contre toute attente», elle s’est sentie «apaisée» pour la première fois depuis son agression après avoir lu ces mots.

«C’est difficile à décrire, mais en lisant les premières lignes, une vague de soulagement m’a envahie. Le mot "‎viol"‎ était écrit noir sur blanc. Mon violeur reconnaissait ce qu’il m’avait fait. Samuel reconnaissait m’avoir détruite.»

La Toile indignée

La publication de cette lettre le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, a provoqué une vague d’indignations des internautes.  

«Voilà. France. 8 mars 2021. Timing parfait […]. La décence est vraiment morte et la culture du viol a de beaux jours devant elle.»

​«Donner la parole à un violeur et la mettre en Une d'un grand quotidien lors de la journée internationale des droits des femmes, avec un dessin très douteux, est-ce vraiment faire avancer la prévention?», se sont interrogés certains utilisateurs de Twitter.

​​«Mettre à la Une et valoriser pour le 8 mars la lettre d’un homme qui a violé à la victime, actuellement hospitalisée, c’est une violence pour des centaines de milliers de femmes victimes. Libé, vous êtes à vomir», ont écrit d’autres.

Libé s’explique

Réagissant à ces critiques, Libération a tenté d’expliquer sa décision de rendre public ce «texte fort et dérangeant» qui lui est parvenu via son adresse mail officielle. 

​Ainsi, le média souligne que l’auteur «décrit avec précision les déterminants personnels, culturels et sociaux qui ont participé à la commission de son acte» sans se justifier. «Et expliquer n’est pas excuser». Sa réflexion «vise à nous interpeller, à nous sortir de la zone de confort consistant à considérer que le violeur, le monstre, c’est l’autre».

«Une condition nécessaire mais pas suffisante pour entrer de façon plus éclairée sur le terrain de la prévention du viol. La force intellectuelle, la fougue de ce texte peuvent aussi susciter le rejet et jouer en sa défaveur. Mais c’est un fait: il apporte du matériau humain à une question douloureuse, complexe et taboue.»

Libération rappelle que l’auteur de la lettre est aussi l’auteur du crime qu’il «avoue de façon circonstanciée». «Le publier pose une série de problèmes, éthiques, journalistiques et bien sûr juridiques. D’abord, il ne faut pas que la parole de l’agresseur invisibilise celle de sa victime.»

Libé a donc contacté la jeune femme qui a donné son consentement pour que le texte soit publié. «Nous lui demandons de bien prendre le temps de réfléchir. L’article qui contextualisera et racontera leur histoire partira de son point de vue à elle, pas de celui de Samuel.» 

Le journal a également joint le violeur et, dès la «première conversation téléphonique» avec ce dernier, lui a rappelé qu’avec ce texte il s’exposait à des poursuites. «Il en est conscient, mais nous lui demandons aussi de prendre quelques jours pour y réfléchir.»

Le quotidien finit par dire qu’Alma, avec qui il est «en lien permanent», portera plainte lorsqu’elle sera prête. La jeune femme est désormais une militante acharnée et a créé sur Facebook et Instagram le groupe Toustes Violet.

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