Derrière la convocation d’ambassadeurs occidentaux par Ankara, l’ombre de Gülen?

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Ankara - Sputnik Afrique, 1920, 20.10.2021
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Ankara a convoqué 10 diplomates occidentaux qui ont pris parti pour un militant, accusé de liens avec la confrérie de Fethullah Gülen. Erdogan considère ce réseau comme un fléau et un levier contre la Turquie pour l’Europe et les États-Unis.
Erdogan tape du poing sur la table contre les ingérences occidentales. Ankara n’a pas convoqué un ambassadeur, mais 10. Les diplomates des États-Unis, du Canada, de France, de Finlande, du Danemark, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Nouvelle-Zélande, de Norvège et de Suède se sont fait sermonner pour avoir pris fait et cause dans l’affaire d’Osman Kavala, militant turc emprisonné depuis 2017. Les 10 pays avaient rédigé une déclaration commune demandant sa libération immédiate.
Défenseur des droits de l’homme, Osman Kavala est actuellement jugé pour une série d’accusations, notamment pour espionnage et tentative de renversement du gouvernement. Le philanthrope aurait soutenu le mouvement des manifestations Gezi en 2013 et participé à la tentative de coup d’État en 2016, imputée à la confrérie intégriste de Fethullah Gülen. Et pour Recep Tayyip Erdogan, on ne rigole pas avec ce sujet.

Les gülénistes liés à la CIA?

"Nous leur avons dit qu’ils violaient l’État de droit, la démocratie et l’indépendance de la justice qu’ils défendent", indique le ministère turc des Affaires étrangères, avant de poursuivre: "la Turquie est un État de droit démocratique qui respecte les droits de l’homme et il leur a été rappelé que la justice turque ne serait pas influencée par de telles déclarations."
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Cette convocation des ambassadeurs est surtout "un avertissement de ne pas s’immiscer dans les affaires internes turques", commente pour Sputnik Constantin Pikramenos, spécialiste de la Turquie, coauteur de MIT – Le service secret turc (VA Éditions).

"Le gouvernement turc accuse Osman Kavala de tout. Une fois, il est accusé de liens avec Gülen, une fois de liens avec les Kurdes. Il est la bête noire de Bahceli (secrétaire général du Parti d'action nationaliste ndlr)"

En faisant le lien avec les Gülenistes, Erdogan trouverait donc un énième prétexte pour taper sur la confrérie et ainsi réduire son influence. Une influence qui resterait tout de même importante en Europe et aux États-Unis. De fait, Fethullah Gülen lui-même réside en Pennsylvanie depuis 1999, dans "une résidence ultra surveillée". Et Washington n’a jamais cédé aux innombrables demandes d’extradition du prédicateur formulées par Ankara. Ce dossier épineux est l’une des raisons du froid entre les États-Unis et la Turquie.
Autrefois très proches, Erdogan et Gülen se sont brouillés en 2013, notamment à cause de désaccords sur la question kurde et les liens avec Israël.

Gülen, Erdogan, frères ennemis

C’est alors que de nombreux partisans du prédicateur islamiste ont commencé à émigrer en Europe. C’est même en Allemagne que l’on retrouve le plus grand contingent de gülénistes. Ils bénéficient de plusieurs relais locaux dans de grandes écoles, des think tanks et au Parlement européen. "La Turkish Confederation of Businessmen and Industrialists (Tuskon) est proche de certains partis européens", fait notamment remarquer Constantin Pikramenos.
Mais cette relation entre l’Occident et la confrérie des gülénistes ne serait pas dénuée de tout intérêt. Bien au contraire.

"C’est une carte que les Occidentaux et notamment les États-Unis peuvent jouer à l’avenir si les conditions s’y prêtent. C’est une manière de faire pression sur Erdogan, surtout que la deuxième génération de gülénistes est une génération de diplômés, polyglottes, qui ont des réseaux solides avec les élites occidentales. Si les choses devaient changer en Turquie, les Occidentaux savent sur qui miser. Les liens avec les réseaux Gülen et la CIA existent depuis une trentaine d’années, les États-Unis se basaient sur leurs établissements scolaires pour avoir des informations en Asie Centrale dans les années 90."

En 2017, Ankara avait émis un mandat d’arrêt contre un ancien responsable de la CIA soupçonné d’avoir été impliqué dans le putsch manqué de 2016. Sur le territoire turc, les gülénistes sont traqués comme des traîtres. Le MIT (Milli Istihbarat Teskilati), puissant service de renseignement, aurait même créé un "département anti-Gülen", indique Constantin Pikramenos.

En Turquie, la traque des gülénistes

Tous les pans de la société sont passés au crible: des médias à l’armée en passant par les hommes politiques. "Avoir ne serait-ce qu’un prétendu lien avec une revue güléniste est un motif suffisant pour entraîner votre arrestation, la traque est omniprésente sur les réseaux sociaux", affirme-t-il. D’ailleurs, Ankara a ordonné le 19 octobre l’arrestation de plus de 158 suspects, dont 33 soldats en activité, pour de prétendus liens avec les réseaux de Fethullah Gülen. Rien qu’en 2019, 240.000 personnes devaient être traduites en justice.
Mais cette chasse à la confrérie islamiste dépasse de loin le cadre des frontières turques. Erdogan compte tout de même les poursuivre "jusqu’à ce que son dernier membre soit mis hors d’état de nuire", avait-il promis devant son groupe parlementaire en juillet dernier. L’ancien allié et ami d’Erdogan a en effet tissé un véritable maillage associatif, éducatif, culturel et religieux dans plus de 120 pays. "La plupart des gülénistes sont à l’étranger", confirme le spécialiste de la Turquie.
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Jusqu’en 2016, le mouvement Gülen était présent dans 34 pays d’Afrique avec plus de 110 écoles. Après l’échec du coup d’État, le gouvernement turc a pris le contrôle de tous ces établissements. En mai dernier, le MIT a également mis la main sur un neveu du prédicateur, Selahaddin Gülen, alors qu’il enseignait au Kenya. Les autorités turques l’accusaient d’appartenir à l’"organisation terroriste Fetö", l’acronyme utilisé par Ankara pour désigner la confrérie, qu’elle considère comme terroriste.

"Au Moyen-Orient, dans les Balkans, en Afrique, le MIT kidnappe les gülénistes avec la coopération des autorités locales, chose qui est littéralement impossible en Europe ou aux États-Unis", conclut Constantin Pikramenos.

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