Droits voisins: Facebook va rémunérer une partie de la presse, coup dur pour les médias alternatifs?

© Sputnik . Vladimir Astapkovich / Accéder à la base multimédiaMark Zuckerberg
Mark Zuckerberg  - Sputnik Afrique, 1920, 22.10.2021
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Après une longue bataille, des éditeurs de presse ont obtenu gain de cause: Facebook va les rémunérer au titre des "droits voisins". Une bonne nouvelle qui suscite néanmoins des questions, notamment pour les médias n’ayant pas signé cet accord.

"C’est une très grande avancée", souligne d’emblée au micro de Sputnik Bérénice Ferrand, avocate au barreau de Paris, spécialisée en propriété intellectuelle.

En effet, après deux ans de négociation, Facebook a annoncé le 21 octobre avoir signé un "accord de licence" avec l’Alliance pour la presse d’information générale (APIG), qui représente les quotidiens nationaux et régionaux. Cet accord cadre prévoit que la firme de Mark Zuckerberg obtienne et rémunère des licences pour les droits voisins, un mécanisme similaire au droit d’auteur. Ce dispositif, instauré par une directive du Parlement européen en 2019, permet aux médias de se faire rétribuer lorsque des entreprises comme Google, Apple ou encore Facebook réutilisent leurs contenus (extraits d’articles, photos, vidéos, infographies...).

De nouveaux revenus pour une partie des médias

En outre, cet accord permet également aux membres de l’APIG d’accéder à Facebook News, un service dédié à l’information qui sera lancé en France en janvier 2022. Cela "crée une nouvelle catégorie de revenus pérennes" pour la presse, s’est d’ailleurs félicité auprès de l’AFP Pierre Louette, président de l’Alliance et PDG du Groupe Les Échos–Le Parisien.
Avec le futur versement d’une rémunération aux éditeurs de presse, Facebook pourrait-il être tenté de ne privilégier qu’une poignée de titres afin de limiter les coûts? Rien n’est moins sûr, à en croire Pierre Louette. En effet, ce dernier a assuré à l’AFP que "c’est un accord de solidarité, concernant près de 300 éditeurs [membre de l’APIG, ndlr], avec un niveau minimum de rémunération pour les plus petits". Restent les autres médias, non membres de ce syndicat. C’est là que le bât blesse: "Les éditeurs qui n’ont pas pris part à la signature de ces accords sont plus vulnérables", rappelle Me Ferrand.

"Les grands groupes sont représentés par des syndicats qui négocient pour eux des accords. C’est vrai que les petits indépendants ont tendance à être plus éparpillés et donc à avoir plus de difficultés à faire respecter leurs droits voisins", constate l’avocate.

D’autant plus que Facebook n’a pas manqué de rappeler son importance: "Nous reconnaissons la valeur que nous apportent les médias, mais nous en leur apportons aussi, par exemple en termes d’audience. En 2020, le fil d’actualité a généré dans le monde 180 milliards de clics renvoyant vers les sites des éditeurs, ce qui représente 9 milliards de dollars de recettes publicitaires pour la presse", a fait valoir au Figaro Laurent Solly, directeur général de Facebook France.
Alors pour Me Ferrand, "l’enjeu, pour les petits éditeurs de presse ou les agences de presse est de se regrouper entre eux afin de faire valoir leurs droits voisins par le biais d’une représentation commune, que ce soit sous la forme d’un syndicat ou d’un autre type de groupement", prévient-elle.

Vers une invisibilisation de la presse alternative?

Or même pour les grands groupes, peser face aux géants du numérique peut relever des travaux d’Hercule. À l’image des négociations avec Google. En juillet dernier, l’Autorité de la concurrence française a condamné le mastodonte américain à une amende de 500 millions d’euros pour ne pas avoir négocié "de bonne foi" avec les éditeurs de presse sur l’application des droits voisins. L’instance a intimé la multinationale de "présenter une offre de rémunération pour les utilisations actuelles de leurs contenus protégés" aux éditeurs et agences de presse, sous peine de se voir infliger des astreintes qui pourront aller jusqu’à 900.000 euros par jour au total. Une sanction pour laquelle Google a fait appel. Considérant le montant de l’amende disproportionné "au regard des efforts qu’[ils ont] mis en place" pour appliquer cette nouvelle loi.
Reste que Google n’a pas hésité à montrer les muscles peu après l’entrée en vigueur de la directive européenne. Ainsi la multinationale avait décidé en octobre 2019 d’appliquer de nouvelles règles aux éditeurs afin que ces derniers lui laissent la possibilité d’utiliser gratuitement des extraits de leurs contenus. Sous peine de les rendre moins visibles dans ses résultats de recherche et de cette façon faire chuter leur trafic Internet. Avec une telle force de frappe, les médias qui n’ont pas la dénomination "éditeur de presse", qui ne sont donc pas concernés par les droits voisins, pourraient-ils être déréférencés?
Contacté par Sputnik, Me Béranger Tourné, avocat au Barreau de Paris se veut rassurant: "C’est une histoire de marché et de contractualisation."

"Si ce qui est mis en avant fait l’objet d’une licence, il y aura donc une rémunération. A contrario, s’il n’y a pas d’accord, il n’y aura simplement pas de rémunération, mais cela ne change rien à la primauté de l’information", résume notre interlocuteur.

Et pourtant, n’étant pas transparents, les algorithmes des géants numériques restent une énigme entière.
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