Chine-Afrique: "L’empire du Milieu a également ses faiblesses"

© AP Photo / Lintao ZhangForum de coopération entre l'Afrique et la Chine
Forum de coopération entre l'Afrique et la Chine - Sputnik Afrique, 1920, 03.12.2021
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Dans un entretien à Sputnik, l’ex-colonel de l’armée algérienne Abdelhamid Larbi Chérif explique que les espoirs de beaucoup de pays africains de voir la Chine contribuer à la pacification des zones touchées par le terrorisme, comme le Sahel, sont au-dessus des capacités réelles de Pékin.
Du 28 au 30 novembre s’est tenu à Dakar, au Sénégal, le huitième Forum de coopération Chine-Afrique. Cette fois, outre l’économie et le commerce, la sécurité et la défense étaient également au cœur des discussions entre les chefs d’État. En effet, en dépit des promesses économiques et financières de Xi Jinping (un milliard de doses de vaccins anti-Covid-19, dix milliards de dollars d'investissements industriels, 300 milliards de dollars d'importations supplémentaires de produits agricoles africains et l'annulation de la dette de certains pays pour l’année 2021), la ministre sénégalaise des Affaires étrangères, Aissata Tall Sall, a appelé la Chine à participer à la lutte contre l'insécurité au Sahel.
Par ailleurs, sur fond de critiques occidentales, notamment américaines, françaises et britanniques, de la présence chinoise en Afrique, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a défendu mordicus la coopération sino-africaine et salué le rôle de la Chine dans le développement de l’Afrique et la lutte contre la pandémie de Covid-19.
Par quels moyens la Chine peut-elle aider les Africains sur le plan sécuritaire? Pékin a-t-il les moyens d’apporter une contribution sécuritaire et militaire décisive dans la lutte antiterroriste au Sahel? Que signifient les appels des chefs des diplomaties sénégalaise et algérienne au renforcement des relations avec la Chine? La région va-t-elle vers une reconfiguration des zones d’influence entre les grandes puissances?
Pour répondre à ses questions, Sputnik a sollicité l’ex-colonel des services de renseignement algériens, Abdelhamid Larbi Chérif, expert en sécurité internationale et politiques de Défense, spécialiste de l’Afrique, dont notamment le Sahel. Pour lui, "penser que la Chine peut déployer des soldats au Sahel pour aider les pays de la région à vaincre les mouvements terroristes et djihadistes est tout à fait surréaliste pour plusieurs raisons, internes et externes, propres à l’empire du Milieu. Cependant, Pékin peut effectivement apporter une précieuse aide logistique, dont l’armement, aux armées des États sahélo-sahariens".

Ses faiblesses internes

"La Chine est certes la deuxième puissance économique mondiale derrière les États-Unis, mais il ne faut pas pour autant se bercer d’illusions sur ses capacités à imposer une direction aux dynamiques géopolitiques et géostratégiques mondiales, conforme uniquement à ses intérêts vitaux", affirme M.Larbi Chérif, soulignant que "l’empire du Milieu a également ses points faibles, internes et externes, et pas des moindres, qui l’obligent à penser avant tout à sa propre défense".
Et d’expliquer que "le PIB de la Chine est actuellement de 14.000 milliards de dollars, soit 70% de celui des États-Unis. Néanmoins, si l’on prend en compte le nombre d’habitants dans le pays on constatera que le PIB/habitant de la Chine est le 72e à l’échelle mondiale en 2020, selon le FMI, derrière beaucoup de pays, y compris africains [Guinée équatoriale (70e) et Seychelles (53e)]. Taïwan est, quant à lui, classé 39e. Il faut bien avoir en tête que le développement de la Chine est essentiellement concentré à l’est, près de ses côtes maritimes, où vivent près de 94% de sa population, soit 1,3 milliard de personnes. Pour schématiser, si l’on regarde la carte géographique de la Chine, la ligne de démarcation entre la région riche de l’est et celle pauvre de l’ouest est à peu près l’axe Sichuan-Pékin".
Dans le même sens, l’expert attire l’attention sur le fait que "la région ouest est formée de quatre sous-régions tampons qui sont le Tibet, le Xinjiang, la Mandchourie et la Mongolie intérieure. Or, depuis plusieurs décennies, ces sous-régions sont connues pour être des sources de danger pour l’unité et la stabilité du pays. Ainsi, le pouvoir central chinois n’a d’autres choix que de mener une politique de développement intense de l’ouest pour éviter les troubles dans ces sous-régions et afin de les maintenir dans le giron national. Mais la Chine n’a pas encore un marché intérieur important avec un niveau élevé de consommation ou d’épargne, dont il lui faudra encore beaucoup d’années pour y arriver, à même de tirer et de soutenir un haut niveau de croissance économique".
À cet effet, pour lui, "la seule solution qui lui reste est de continuer à miser sur l’exportation de produits de meilleure qualité et à des prix concurrentiels pour soutenir son PIB et avoir les moyens financiers d’extraire le Tibet, le Xinjiang, la Mandchourie et la Mongolie intérieure de la pauvreté. Pour ce faire, Pékin devrait continuer à ouvrir de nouveaux marchés, l’un des objectifs stratégiques de son projet millénaire de la Route de la soie, considéré également comme le levier de développement de l’ouest du pays. Les États-Unis et les pays de l’Union européenne étant ses principaux importateurs, ceci crée des désaccords et des tensions sur les modalités et les moyens de maintien d’un commerce équilibré entre eux, qui prennent de plus en plus une tournure militaire".

Quid des dangers extérieurs?

Puissance commerciale par excellence, la Chine dispose de deux voies pour acheminer ses marchandises dans les différentes régions du monde: les transports terrestres, qui seront en particulier développés dans le cadre de son projet de la Route de la soie, et le fret maritime.
À ce titre, l’ex-haut gradé de l’armée algérienne remarque que "les tracés des transports terrestres, essentiellement ferroviaires qui sont actuellement en phase de construction, passent par beaucoup de pays instables où sévissent des organisations terroristes et djihadistes très hostiles à la Chine. Ceci outre le fait que leur coût sera très cher, au moins durant les premières années. La seconde voie, maritime, est plus sérieuse et viable. Dans ce cas de figure, les ports chinois situés sont d’une importance vitale pour l’économie du pays, donc pour sa cohésion et sa sécurité nationale".

Et de constater que "l’armée américaine est justement en train de déplacer des forces navales et aéronavales énormes vers la région indopacifique, dont la mer de Chine méridionale, la mer de Chine orientale et le golfe du Bengale. Le mois dernier, les Américains, les Britanniques et les Australiens ont scellé une nouvelle alliance militaire dans cette région appelée AUKUS, dirigée directement contre la Chine et la Russie. Imaginons que les stratèges chinois prennent en considération la possibilité d’un conflit militaire entre les États-Unis et la Chine en Indopacifique. L’armée américaine, qui dispose de 16 bases navales et aéronavales dans cette région, n’aura aucun problème pour fermer les ports chinois, voire les détruire et resserrer l’étau sur les goulets d‘étranglement et ainsi rendre difficile et très risquée la sortie des navires commerciaux ou militaires chinois. Sans oublier qu’ils pourront compter sur l’aide d’autres alliés comme le Japon, la Corée du Sud et Taïwan. Bien sûr que la Chine a mis le paquet sur le développement d’une puissance de frappe maritime à même de contrebalancer la puissance des États-Unis et de leurs alliés dans cette région. Mais comme d’habitude, si conflit il y a, il se déroulera loin du sol américain, et dans ce cas précis il aurait lieu près, si ce n’est à l’intérieur, des terres chinoises. Tout conflit dans cette région est extrêmement risqué pour la Chine à cause de son coût exorbitant et de ses conséquences incalculables sur son économie et sa cohésion interne, qui se verrait découverte à toutes sortes d’incursions et de manipulations des quatre zones tampons, comme c’est le cas actuellement au Tibet et au Xinjiang, habités par la minorité ouïgoure".

Conclusion

Enfin, l’interlocuteur de Sputnik affirme que "contrairement à ce qui est souvent rapporté dans les médias, la Chine demeurera encore pour des décennies dans une posture défensive aussi bien sur le plan économique que militaire".
"La Chine va certainement trouver des moyens de faire pression sur les Occidentaux pour faire avancer ses intérêts, y compris en Afrique, mais elle demeure encore loin de pouvoir s’imposer face aux États-Unis, à la France et au Royaume-Uni sur le continent africain", poursuit-il.
Et de conclure: "en travaillant avec la Russie et l’Iran, qui reprennent de plus en plus pied en Afrique, et les pays de la région – l’Algérie, l’Égypte, l’Éthiopie ou encore l’Afrique du Sud – elle pourrait contribuer, au moins matériellement en fournissant des armes et des moyens de surveillance sophistiqués".
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