Cours d'Anti-néolibéralisme
Avec l’aide de l’économiste Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, Sputnik entame une série d’émissions dans le but d’expliquer les fondements de ce néolibéralisme qui génèrent les crises répétitives.

Critique du néolibéralisme: pourquoi le concept des deux corps du roi a été intégré en management

© Sputnik . Par Omar AktoufLe professeur Omar Aktouf
Le professeur Omar Aktouf - Sputnik Afrique, 1920, 25.01.2022
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"La fiction des +deux corps du roi+ […] a été introduite dans le management néolibéral pour justifier le pouvoir absolu transcendantal des +leaders+ dans les entreprises", avance auprès de Sputnik le Pr Omar Aktouf dans le cadre ce 31e cours d’"Anti-néolibéralisme". Il évoque les tragédies de Shakespeare pour illustrer le sujet.
En 1957, l’avocat américain Adolf Augustus Berle, également enseignant et diplomate, qui a eu une grande influence sur la pensée économique, notamment par le livre auquel il a participé "The Modern Corporation and Private Property", a proposé un intéressant parallèle entre les deux formes d'absolutisme du pouvoir représentées par celui des rois, notamment normands et britanniques, d'un côté et celui des chefs d’entreprise moderne, d'un autre. Désignés comme leaders aux qualités surhumaines par les penseurs néolibéraux, ils prennent en toute souveraineté, particulièrement dans le contexte de non-interventionnisme des États, toutes les décisions qui leur "plairait" de prendre.
Dans ce 31e cours d’"Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC au Québec, explique de quelle façon "la fiction des +deux corps du roi+, instaurée par les juristes de la royauté britannique sous les Tudor, à partir du XVe siècle, a été introduite dans le management néolibéral pour justifier le pouvoir absolu transcendantal des +leaders+ dans les entreprises".

Que révèlent les tragédies de Shakespeare?

"Cette fiction donnait aux rois britanniques l'exceptionnelle capacité de posséder deux corps: celui de la Majesté Royale et du pouvoir politique, qui transcende la personne physique du monarque et celui de la personne naturelle qui vit et meurt, même si elle a été roi", expose le Pr Aktouf.
Et d’ajouter que "le corps +céleste-immortel+ a la faculté de se +transmettre+ au successeur lorsque le roi meurt. Et ce n'est, en l'occurrence, pas de mourir dont on parle, mais de +démettre+. Le corps faillible sujet à la mort et aux contraintes de la vie du commun des mortels est +démis+ de son corps infaillible et éternel, le corps royal-divin. Du vivant du roi, ces deux corps sont +fusionnés+ et unis en sa personne qui agit, selon les circonstances, soit en fonction de son corps terrestre, soit en fonction de son corps +politico-céleste+".
Dans le même sens, il estime que c’est "ainsi que s’est légitimée la suprahumanité de l'institution royale dont les membres sont les +sujets+ du royaume. C'est l'immortalité conférée à l'individu-roi en tant qu’incarnation du pouvoir politique qui est à l’origine de la légitimation de son caractère absolu".

À ce propos, "dans ses tragédies Shakespeare a ouvert une voie singulièrement riche d'acuité et de profondeur au moyen de la méticuleuse autopsie à laquelle certaines de ses tragédies soumettent les déchirements de la vie des rois entre leur +moi-homme+ et leur +moi-dieu+. Les destins pathétiques d'un Richard II ou d'un Lear constituent des témoignages bouleversants de l'inextricable et douloureuse interdépendance entre pouvoir, fantasmes d'omnipotente déification d'un côté, et mortalité et relations bien terrestres avec soi-même et avec ses semblables, d'un autre côté".

"Le dilemme des rois frappés par le destin de Shakespeare"

Il faut avoir à l’esprit, selon l’interlocuteur de Sputnik, que "le management néolibéral largement dominant durant les deux premiers tiers du XXe siècle est matériellement et historiquement né en Angleterre, pour s'épanouir par la suite doctrinairement et théoriquement en Amérique du Nord. Il y a là des principes fondateurs déterminants, car le manager est en effet l'héritier de tout ce qui a animé le capitaine d'industrie anglo-américain des XVIIIe et XIXe siècles".
À ce titre, il explique que "le dilemme des rois frappés par le destin de Shakespeare n'est dépassé qu'à ce prix: le double corps n'est humainement vivable que si le corps royal se met au service de la justice et de l'harmonie parmi les mortels, auxquels il doit, sur ce plan, rendre compte en permanence, au risque de sa propre négation".
Et de conclure qu’aujourd'hui "les écoles de gestion feraient bien de cesser l’enseignement de ces invraisemblables culte et glorification du dirigeant, entrepreneur, leader, présenté comme un individu d'exception, bien au-dessus du commun".
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