Paris "est en train de sortir de l'histoire de l'Afrique", estime un politologue français

© Photo Pixabay / FabdeAmbresAfrique
Afrique - Sputnik Afrique, 1920, 09.08.2023
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Les Africains ont depuis longtemps tourné le dos à la France qui a été à l’origine de l’agression contre la Libye dont le Président avait soit disant un plan pour une Afrique indépendante, a affirmé à Sputnik Afrique un politologue français.
"La France actuellement est en train de sortir de l'histoire de l'Afrique", contrairement aux déclarations de l'ex-Président français Nicolas Sarkozy qui insinuait lors d'un discours sur le sol sénégalais que l'Afrique n'était pas rentrée dans l'histoire, a déclaré à Sputnik Afrique Majed Nehmé, politologue français et directeur de la rédaction du mensuel francophone 2A MAGAZINE, commentant une lettre ouverte rédigée par un groupe de sénateurs français dans laquelle ils interpellent Emmanuel Macron sur la place et le rôle de la France en Afrique.
"Nicolas Sarkozy, dans un discours célèbre à Dakar, avait déclaré que l'Afrique n'est pas entrée dans l'histoire. À l'époque, c'était un choc […]. Maintenant, on peut retourner la phrase de Sarkozy en disant que la France actuellement est en train de sortir de l’histoire de l'Afrique", a-t-il réagi.

Pourquoi ce refus de la France?

Les sénateurs français "oublient les origines de ce refus africain de la France qui a connu son point culminant en 2011, quand la France est intervenue ou elle était à l'initiative de l'agression contre la Libye", ajoute l’analyste politique.
"Des Africains n'ont jamais gobé cette agression qui a cassé un pays africain, qui avait une politique africaine, qui était l'Afrique, qui voulait une monnaie africaine plutôt que le franc français."
Pour lui, les raisons du rejet de la France par les Africains sont le "pillage du continent, le mépris des peuples africains, la déstabilisation des pays africains", mais les sénateurs n’en parlent pas. Or les relations entre la France et l'Afrique doivent être équitables et respecter l'indépendance des peuples africains, à son avis.
Outre l’Afrique noire, la France traite "avec un peu de désinvolture" l’Afrique du Nord, selon lui. Les auteurs de la lettre "pensent que l'Algérie ne peut pas critiquer la Tunisie en sachant que c'est eux qui ont été à l'origine du Printemps arabe qui a renversé le régime tunisien de Ben Ali".

"Et douze ans après on voit le résultat avec un pays dont l'économie est par terre. Ils voient très mal la dernière visite du Président algérien Abdelmadjid Tebboune en Russie qui était un grand succès, ainsi que sa visite en Chine. C'est-à-dire même l'Afrique du Nord ou les pays du Maghreb commencent à rejeter l'esprit colonial français et les pratiques coloniales aussi", poursuit le politologue.

L'Afrique, un continent ami de la France? "Grotesque"

Pour M.Nehmé, les propos des sénateurs qui qualifient l’Afrique de continent ami de la France sont grotesques, "c'est un non-sens, c'est du révisionnisme historique".
"L’Afrique est ami avec qui? Avec les régimes corrompus que la France elle-même a installés et qui se partageaient le pillage des ressources africaines", a-t-il noté.
Comme exemple, il explique qu'en deux siècles de présence coloniale française en Afrique, il y a très peu d'infrastructures, d'actions pour le développement de l'Afrique. Pour la France c'était des dépendances françaises. M.Nehmé rappelle que c'est l'Union soviétique qui avait construit le barrage en Égypte, alors que "l'Occident, y compris la France, avait refusé à l'époque l'idée de financer une telle infrastructure sans contrepartie".
"C'est un colonialisme indirect malgré les indépendances, alors que la Chine ou l'Union soviétique avant s'étaient impliqués dans le continent africain, c'était des vrais amis qui avaient construit des infrastructures".
L'interlocuteur de Sputnik explique que le retour de la Russie et de la Chine a aidé en construisant des routes, des chemins de fer, des barrages, des écoles, tout cela, en aidant l'agriculture. Voilà, c'est ça ce qui veut dire être ami et ce n'est pas "piller l'uranium du Niger, l'or du Mali ou les richesses du Congo".

Barkhane, un échec cuisant

M.Nehmé trouve que l'opération Barkhane est une défaite cinglante. Pourtant l'actuel ministre de la Défense, qui réfute ce fiasco total, adhère à la vision Françafrique coloniale et se montre un peu aveuglé par l'idéologie plutôt que par la réalité. Selon lui, la réalité est là, la France a été chassée du Mali, du Burkina Faso et bientôt elle sera chassée du Niger.
"C'est le résultat de la guerre contre la Libye, qui l'a transformée en un vaste boulevard pour tous les courants, groupes armés et les groupes terroristes. Ensuite Barkhane n'a pas réussi à éradiquer le terrorisme que la France elle-même avait provoqué", a-t-il précisé.
Après l’opération en Libye, des foules d'Africains se sont retrouvés dans la misère et ont vu leur pays cassé, rappelle M.Nehmé.

Une France dépendante?

Après avoir énuméré les problèmes français sur le continent africain, les sénateurs appellent à remettre à plat la vision française de l’Afrique. Mais, comme le note M.Nehmé, ils ne précisent pas quelle est ce regard. D'autant plus que la France elle-même n'est plus souveraine et indépendante, elle dépend, et elle est suiviste vis-à-vis des États-Unis.
"Comment vous voulez qu'un pays qui a perdu sa souveraineté se comporte autrement qu'un chien de garde des intérêts occidentaux ou américains en Afrique?! D'ailleurs, les sénateurs ne disent pas comment...", a-t-il souligné.

Un partenariat franco-africain est-il envisageable?

Le politologue français estime que c'est trop tard pour que l'Afrique collabore à nouveau avec la France sur de nouvelles bases.
"Pour redevenir amie de l'Afrique, pour devenir partenaire crédible de l'Afrique, il faut que la France regagne son indépendance, qu'elle quitte l'Otan, qu'elle pense à ses propres intérêts et non pas à des guerres […] qui ne servent nullement ses intérêts".
La Russie est de retour, la Chine aussi est là, "la conscience africaine et le désir d'indépendance des peuples africains est de nouveau à l'honneur. Donc maintenant, c'est trop tard pour la France", a conclu M.Nehmé.
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