Le couperet pour les oligarques ukrainiens

Le couperet pour les oligarques ukrainiens
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Xavier Moreau est l’un des meilleurs analystes de la Russie. En plus il est au cœur même de la problématique puisqu’il vit et travaille à Moscou. Nous lui avons demandé de faire une brève analyse de la situation en Ukraine après l’avènement du nouveau président élu Porochenko.

La Voix de la Russie. Vous êtes un fin connaisseur du contexte russe et celui de la CEI. Que pensez-vous de l’évolution de la situation dans le Sud-Est ukrainien ? Est-ce que vous considérez toujours l’Ukraine comme une sorte de République bananière, surtout après les élections présidentielles et l’apparition du président Porochenko ?

Xavier Moreau. Je pense qu’il l’est un peu moins ! On va voir comment et si Monsieur Porochenko, le président fraîchement élu, est capable de reprendre les rênes du pouvoir à Kiev… Ce qui n’est pas gagné, ce qui d’ores et déjà apparaît comme très difficile ! Puisque notamment le leader Kolomoïski a refusé de se soumettre à son autorité.

LVdlR. Que pensez-vous des exactions commises dans la région de Donbass, surtout après l’asile politique demandé en Russie par tout un groupe de garde-frontières ukrainiens qui visiblement ne voulaient tirer sur leur propre population ? Est-ce qu’on peut se fier à ce genre d’informations ?

Xavier Moreau. Le fait que les garde-frontières soient passés du côté russe – ça c’est un fait avéré. Ce n’est pas parce qu’on n’en parle pas dans la presse française que cela ne s’est pas passé. J’ai même vu une interview de l’un de ces garde-frontières sur le média russe ! Ce qu’il faut voir c’est que « Praviy Sector » fonctionne un peu comme les commissaires politiques de l’Armée Rouge : c’est-à-dire que si jamais vous ne voulez pas aller au combat, c’est vous qui vous faites tuer. Je n’en suis pas surpris. La question est : est-ce que le président Porochenko est au courant de cela ? Je pense qu’il l’est. Est-ce qu’il y peut quelque chose ? Ca, rien n’est moins sûr ! Une partie des opérations n’est pas dirigée par le Ministère de la Défense, mais directement par Igor Kolomoïski et les unités des néo-nazis et des mercenaires qui les financent…

LVdlR. Que pensez-vous de la collaboration du G7 et de la Russie sur le dossier ukrainien. Après le meurtre d’un journaliste de télévision russe, les Russes ont lancé un avis de recherche international contre Kolomoïski et son acolyte Arsène Avakov, ministre de l’Intérieur. Est-ce que d’après vous cela serait soutenu par les autorités occidentales ?

Xavier Moreau. A l’heure actuelle cela ne sera pas soutenu. Si le pouvoir légal de M.Porochenko, dûment reconnu par la Russie, devient un pouvoir effectif, dans ce cas ce sera à lui de juger M.Kolomoïski, M. Avakov, mais également M. Paruby qui sont les 3 grands criminels de cette crise. Et je dirais que si l’Ukraine veut se présenter à la fin de cette crise comme un pays viable et démocratique, la première chose à faire, c’est de faire comparaître les gens qui ont commis des crimes, à commences par les snipers de Maïdan dont il apparaît clairement qu’ils étaient organisés par Maïdan soi-même et ensuite les personnages comme M. Avakov et M. Kolomoïski en mettant fin à la guerre civile puisqu’on parle beaucoup de ce qui passe dans le Donbass et à Lougansk mais il faut également parler de ce qui se passe à Kharkov, Dniepropetrovsk, Odessa où régulièrement on enlève, on torture, on assassine tous les opposants à M. Kolomoïski… Je ne dis pas « tous les opposants à Kiev » parce que je garde quand même un espoir que le président Porochenko réussisse à amener une paix qui est réclamée par toute l’Ukraine ! C’est d’ailleurs pour ça qu’il a été élu y compris par l’Ouest de l’Ukraine puisque l’on a vu les premières manifestations contre l’enrôlement des jeunes conscrits de l’Ouest de l’Ukraine. Donc si le cœur du national-socialisme qui est à Lvov est contre la guerre, cela veut dire que le président Porochenko doit aller au bout pour nettoyer tous les fauteurs de guerre autour de lui c’est-à-dire Kolomoïski, Avakov, Paruby et malheureusement (je ne sais pas comment il va s’y prendre) le Département d’Etat américain.

LVdlR. Mais est-ce que d’après vous le président Porochenko a plein contrôle du territoire ou bien il y en a une partie qui lui échappe d’après vous ?

Xavier Moreau. Je pense qu’il est en train de reprendre le contrôle. Je pense qu’il a fait deux choses importantes. La première : d’après la Constitution il a le droit de changer son ministre des Affaires Etrangères et son ministre de la Défense. Là il a réussi à changer son ministre des Affaires Etrangères ! Il a mis un professionnel ! C’est une bonne chose. On va voir s’il va réussir à changer pas seulement le ministre mais aussi les autorités qui contrôlent les structures de forces. Puisqu’actuellement les structures de forces sont contrôlées par M. Paruby, combattant de « Svoboda » qui est un nazi avéré ! Il a réussi à changer Magnitski, également un député de « Svoboda » néo-nazi qui dirigeait le Parquet ! Et il est en train de créer sa propre administration présidentielle.

Ça c’est la première chose qu’il a faite, la deuxième chose : il a dit qu’il allait signer l’accord d’association avec l’UE. En soi cela ne va pas changer grand’chose… puisque c’est un accord qui doit être réalisé par tous les pays de l’UE ! De toute manière d’ici quelques mois on fera les comptes et on s’apercevra que c’était une erreur. Mais en faisant ça, il désarme Maïdan ! En signant cet accord, il donne aux gens de Maïdan ce qu’ils voulaient en sachant qu’en fait l’accord ne donne rien à l’Ukraine de particulier… Mais en fa isant ça il désamorce le troisième Maïdan potentiel.

Puisqu’au moment où les gens vont descendre dans la rue, il y aura quelques centaines, peut-être quelques milliers de néo-nazis, mais pas plus !

Donc je pense qu’il y a une volonté de Porochenko de reprendre le pouvoir chez lui. Le problème c’est que contre lui il y a des forces qui sont extrêmement puissantes : j’ai cité Kolomoïski, j’ai cité « Svoboda » qui agit en sous-fifre de l’administration américaine qui veut absolument la guerre en provoquant une intervention russe dans l’Est de l’Ukraine… Et c’est pour ça qu’aujourd’hui tous les jours vous voyez des réfugiés arriver, vous les voyez bombarder des hôpitaux, des jardins d’enfants… Aujourd’hui ils ont même bombardé les postes des garde-frontières russes ! Ils feront tout ce qui leur est possible pour forcer la Russie à intervenir dans le Sud-Est de l’Ukraine !

LVdlR. Selon le décompte officiel, il y a eu plus de 40 enfants en bas âge qui ont succombé à leurs blessures dans le Sud-Est ukrainien suite aux bombardements des villes civiles. Croyez-vous à la thèse que pour pouvoir rembourser les crédits occidentaux il faut que Kiev reprenne le contrôle du Sud-Est du pays où se trouvent tous les centres de production. Vrai ou faux ?

Xavier Moreau. Ecoutez ! Ca ce n’est ni vous ni moi qui le disons, mais Madame Christine Lagarde ! Parce que quand elle a commencé à lancer les mouvements de prêts vers l’Ukraine, elle a dit que la perte de contrôle de l’Est de l’Ukraine remet en cause l’aide internationale ! Puisque si vous regardez la balance commerciale des différentes régions d’Ukraine, les seules à apporter les devises étrangères de manière importante c’est les régions de l’Est de l’Ukraine.

Il n’y a pas que Donetsk et Lougansk ! Il y a également Dniepropetrovsk, contrôlé par M. Kolomoïski… Et aussi une partie du Sud de l’Ukraine. Il est clair qu’en Ukraine la richesse est à l’Est et la pauvreté – à l’Ouest !

Donc il est évident que s’ils ne reprennent pas le contrôle, ils ne pourront pas rembourser et l’aide internationale s’arrêtera net. La question est : que faire pour reprendre le contrôle de l’Est par Kiev ? Ce qu’il y a de mieux c’est d’aller aux négociations et de proposer un accord, mais la vraie question : qui aura le contrôle de cet accord ? Comment l’impôt sera-t-il distribué ? Il y a un énorme processus de négociations à mettre en place et plus on s’en tiendra à la solution militaire, plus de temps cela prendre et plus l’Ukraine s’enfoncera dans une crise ; De toute manière il lui faudra de 5 à 10 ans pour s’en remettre.

 

Commentaire de l’Auteur. Le stratagème de Poutine est autrement plus astucieux qu’un simple jeu des dames ou d’échecs. En digne chevaucheur d’ours, il a l’habitude des grandes crises sur les marches de son territoire puisqu’il en a maîtrisé plus d’une dont celle de Tchétchénie ou encore, en 2008, de l’Ossétie du Sud où les Casques bleus russes furent massacrés à coups de roquettes et obus de mortier par les troupes géorgiennes sous le contrôle de l’OTAN. La Russie en est ressortie revigorée.

En bon stratège, il est en train d’assiéger les néo-nazis de Kiev leur coupant l’énergie, le gaz en l’occurrence, les privant de marché pour l’écoulement des stocks de leurs marchandises (ce n’est pas une Europe saturée qui a besoin de l’agroalimentaire ukrainien), contribuant au soutien des gens massacrés de la région richissime du pays, faisant monter en flèche la sympathie des autochtones à son égard en distribuant vivres, médicaments et même les téléphones portables dans les camps des réfugiés… Qui plus est, la population masculine ukrainienne avait l’habitude de travailler dans les chantiers russes : ce ne sera plus le cas puisque la frontière est verrouillée du côté ukrainien. Les familles sont maintenant scindées, mais la Russie y gagne. Elle avait besoin d’améliorer sa démographie : là elle reçoit une main d’œuvre qualifiée, génétiquement identique au contexte ethnique national, à la fleur de l’âge et prête à occuper tous les postes vacants jusqu’aux les moins convoités. Les passeports russes sont facilement accessibles pour cette population et le Président russe va y gagner encore une tranche de son électorat qui lui sera farouchement acquise. En plus, les Occidentaux se transforment en épouvantail soutenant les néo-nazis ! Ca aussi ça profite encore à la Russie : les bourgeois russes auront moins tendance à faire fuir les capitaux à l’Ouest. Donc ils investiront plus en économie nationale et l’Occident aura moins de gain. Les touristes russes iront du côté de la Crimée au lieu de se rendre en Espagne et en France. Et les profits du secteur touristique profiteront à reconstruire ce « porte-avions » russe garé au beau milieu de la Mer Noire avec la base navale de Sébastopol. Donc toutes les mises sont sauves, mais à l’automne Kiev se retrouvera avec une population en colère, avec les revenus en chute libre et sans accès aux hydrocarbures. Décidément Vladimir Poutine a tout d’un Soun-Tzou d’antan !

 

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