Une Eglise en plein renouveau et ses perturbations

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Après 70 années et des poussières d'athéisme militant, voilà déjà 20 ans que le Clergé russe reprend ses droits.

Après 70 années et des poussières d'athéisme militant, voilà déjà 20 ans que le Clergé russe reprend ses droits. Sous l e feu Patriarche Alexis, durant les années 90 notamment, cette reprise s'effectuait discrètement, à tâtons, un passé de martyr derrière le dos, devant les yeux, un peuple dérouté, en quête d'une spiritualité susceptible de remplacer les fondements brisés du marxisme-léninisme. Car cela ne relève point du secret: l'homme a soif d'idéal et cet idéal est riche en facettes. Ainsi, c'est à une vitesse vertigineuse que les églises se reconstruisaient, que des gens de tout âge et de toute condition sociale s'empressaient de recevoir le baptême, que de jeunes hommes, encore novices en religion, se destinaient à une carrière ecclésiastique contribuant de fait à l'ouverture de nouveaux séminaires dans toute la Fédération. Bonne case, bon départ, malgré une tache flagrante qui jettera une ombre non moins flagrante sur les dirigeants de l'Eglise: peut-on passer sous silence l'histoire des exemptions de taxes sur l'alcool et les cigarettes dont bénéficiait sans souci de conscience le Patriarcat? Les relents de cette histoire, présentée au début comme quasi-mythique et honteuse en ce qu'elle visait soi-disant à compromettre un pouvoir encore chavirant, même si elles n'empoisonnent plus que les étagères de l'avant-dernière décennie, ont tout de même quelque chose d'indélébile et pour cause: le personnage principal de l'intrigue, le anti-héros, si l'on puit s'exprimer de la sorte, est le Patriarche Cyrille, à l'époque, le métropolite Cyrille de Smolensk, président du département des relations extérieures du Patriarcat à Moscou. Le « Métropolite de tabac » (si l'on fait du mot à mot), a-t-on surnommé alors Cyrille...

Les années passèrent. Le 5 décembre 2008, le Patriarche Alexis II, symbole du renouveau spirituel en Russie, rend l'âme. Le lendemain, le Métropolite Cyrille est élu locum tenens du siège patriarcal avant de voir son statut confirmé par le concile local qui s'est tenu le 1 février 2009. L'intronisation du Patriarche a donné lieu à moultes débats liés à sa personnalité. Humaniste, érudit comme il y en a peu, fin politique et donc brillant diplomate ... les louanges abondaient, l'emportant largement sur les réserves de certains opposants, entre autres ceux qui avaient soutenu la candidature de Mgr Clément de Kalouga, bien plus conservateur que son adversaire. En effet, le libéralisme très net du nouveau chef de l'Eglise leur mettait la puce à l'oreille, car qui dit libéralisme, en l'occurence, dit ouverture au monde, qui dit ouverture au monde dit, ô doux Jésus, dialogue oecuménique! L'encens virerait-il tout de suite au soufre ? Et bien non. Nonobstant un épisode de rapprochement idéologique, toujours en 2009, entre le Saint Pontife et Le Patriarche (rhétorique anti-globaliste, traditionnalisme etc ...), rapprochement d'ailleurs constaté avec satisfaction par Cyrille lui-même, l'année 2010 donne naissance à une tension extrême entre les univers catholique et orthodoxe et pour cause: plus d'une dizaine d'églises catholiques et protestantes situées dans le région de Kaliningrad entrent en possession de l'Eglise orthodoxe. Il faut aussitôt se mettre à l'évidence: le Patriarche a la main plus ferme que l'on ne s'y attendait, le bras plus long que prévu. C'est plus d'une fois qu'il se prononcera contre le libéralisme occidental, voyant en celui-ci le feu qui alimente le brasier apocalyptique dans lequel notre société est sur le point de sauter la tête la première. Selon lui, ce libéralisme qui nous est importé en grandes quantités est une entité malsaine, une invention du Malin qui n'a guère d'autre but que de rendre infime la distance entre le bien et le mal, de faire croire que le péché, tout autant que la sainteté sont des notions pour le moins caduques, sinon inexistantes.

Mais, à côté du Patriarche classique, du bon Pasteur bien sévère, il y a autre chose. Il suffit de considérer la biographie fort intéressante de ce personnage pour juger de sa complexité et, plus précisément, se pencher sur la personnalité de celui qui, durant les années passées au séminaire, fût son père spirituel. Il s'agit du Métropolite de Leningrad et de Novgorod Nicodime Rotor, réformiste de conviction appliqué sa vie durant à établir des relations durables et fraternelles avec le Vatican. Le côté personnel y est pour autant que le côté politique. C'est bien Mgr Rotor qui a traduit, admiratif, les «Exercices Spirituels» d'Ignace de Loyola, père, ne l'oublions pas, du jésuitisme. C'est bien cette admiration qui, on est en droit de le supposer, a déterminé la souplesse du Métropolite dans sa réflexion sur l'athéisme (distinction de l'«athéisme communiste» dont les fondements seraient conciliables avec ceux de l'orthodoxie et d'un athéisme assez vague, «sacrilège et abject» qui renvoie bien entendu au monstre occidental auquel fait à présent allusion le Patriarche), son entente avec le Vatican qui fût telle que, par ironie du sort, Mgr Rotor mourut à Rome lors de l'intronisation de Jean-Paul I. Et pourtant, nul ne dira le contraire, celui qui a tant inspiré Cyrille était orthodoxe jusqu'au bout des doigts et c'est en fils fidèle de Constantinople qu'il est resté dans l'histoire de l'Eglise.

Fils de Constantinople? Nous ne sommes pas sans ignorer également l'origine des relations du défunt Mgr Nicodime et du Vatican, celles-ci ayant été lancées en 1962 à l'initiative de Kroutchev alors que le Saint Siège était occupé par le «Pape rouge» Jean XXIII. Ainsi donc, le mobile politique domine sur le mobile personnel ou idéologique. Mais pourtant, à bien y réfléchir, y-a-t-il contradiction? Les intérêts de l'URSS n'auraient-ils su servir ceux de l'Eglise et vice-versa? Là encore, nous retombons sur la problématique fort actuelle des relations entre Patriarcat et Etat, éternelle pierre d'achoppement des polémiques focalisées sur ce sujet.

Cette esquisse indirectement inspirée du portrait patriarcal renvoie l'image d'une personnalité complexe et, par conséquent, difficile à définir. En cette année 2012, au bout de quatre ans de Sacerdoce au rang de Patriarche, Cyrille en a étonné plus d'un. La politique qu'a commencé à mener depuis peu l'Eglise suscite de plus en plus de débats, de plus en plus de critiques inégalables de par leur virulence. Voici trois cas, tous particuliers parce que sans précédent, révélateurs d'une autre facette de la personnalité du Patriarche mais aussi et sûrement avant tout de l'état général des choses au sein de l'Eglise et de notre société.

Primo: le scandale fortement médiatisé qu'a provoqué l'espèce de spectacle blasphématoire des Pussy Riot devant l'Autel dans la Cathédrale du Saint-Sauveur. Certes, nous sommes bien d'accord, il y a eut sacrilège, tentative honteuse de déstabiliser le climat social après des élections pour le moins mouvementées. Toute attitude de ce type doit être taxée comme il se doit, conformément aux lois en vigueur. Quid de la réaction de l'Eglise? En lieu et place d'une réponse mesurée, réfléchie, d'une riposte qui serait à la hauteur du message évangélique, un remue-ménage à la limite de l'hystérie qui a divisé le clergé en deux camps, c'est-à-dire, grosso modo, celui du Patriarche et celui du Père Kuraev. Trois mois de prison requis par le premier, tentative de se culpabiliser et de pardonner pour ce qui est du deuxième. Deux points de vue radicalement divergents qui refléteront le déchirement interne de l'Eglise, son manque intrinsèque d'unité.

Secondo: l'histoire de l'appartement. Comment un moine, une personne ayant en toute connaissance de cause fait voeu de pauvreté peut accepter un splendide appartement dans une maison, à noter au passage, sinistre de par son ancrage total dans les misères des années 30: maintes arrestations, maints suicides, maints meurtres? Bref, un lieu à éviter. Comment un moine, mécontent de la poussière apparue dans son appartement suite aux travaux menés par le voisin de l'étage inférieur, peut-il sérieusement réclamer une compensation exorbitante, quitte à faire valoir ses droits en justice et y être représenté par sa cousine? Il ne reste qu'à hausser les épaules. La question reste ouverte, d'autant plus que depuis quelques jours la presse russe nie entièrement la véracité de cette intrigue comprometteuse. Cette fois, ce serait l'opposition, furieuse de l'attitude pro-poutiniste de ce dernier, qui essaierait de prendre sa revanche. Quoi qu'il en soit, d'un côté, il n'y a point de fumée sans feu, de l'autre, on ne saurait sous-estimer l'imagination fantaisiste de l'opposition.

Tertio: l'histoire, de par sa stupidité apparente, se résume à deux phrases. Le Patriarche aurait mis une montre hyper chère, une montre de la marque Breguet puis aurait demandé d'effacer cette image sur la photo où elle figurait. Photoshoper étant aujourd'hui un jeu d'enfant, ce fût aussitôt fait. Malheureusement, le «photoshoper» devait être bien pressé puisqu'il a oublié de gommer le reflet de la montre sur la table vernie. Soit. Ce qui est surprenant, c'est que cette intrigue vieille de trois ans ait soudainement surnagé alors qu'elle n'avait eu presque aucun retentissement en 2009. Symptomatique, cela l'est d'autant plus si l'on tient compte de l'origine sociale du mouvement contestataire: les milieux intellectuels qui se sont violemment insurgés contre le retour de Poutine. Encore eux! Poutine est resté inébranlable, le pouvoir tient ferme, alors à qui s'en prendre? Au bras droit de ce pouvoir, au fondement moral d'une société post-soviétique (20 ans, c'est bien peu!), d'une société encore juvénile.

Les trois cas exposés, nous en concluons, premièrement, à une certaine instabilité inhérente à l'Eglise et plutôt temporaire, dans le mesure où elle relève de ce qu'on appelle une «crise de l'âge» ou «crise de croissance». Cette crise devrait finir par s'estomper et l'Eglise orthodoxe y travaille sans relâche. J'ai vu, il y a peu, sur le site «Symbole de foi» (http://simvol-veri.ru/), une réflexion concise sur les différentes voies de développement de l'Eglise moderne. Suppression partielle des dogmes? Révérence, en ce cas, au Père Kuraev, souvent plumé par ses collègues pour ses humeurs excessivement populistes, voire primitivistes. Construction fébrile de nouvelles Eglises? ( plus de 200 nouveaux Temples ont vu le jour à Moscou depuis ces dernières années). Mais le nombre croissant des Eglises ne conduit pas à la croissance du nombre de croyants. Démocratisation globale de l'Eglise? Modernisation des liturgies, réforme profonde des moeurs ecclésiastiques, un peu dans l'esprit du Concile Vatican II? C'est bien cette dernière voie qui semble avoir été retenue par l'Eglise. L'héritage de Mgr Rotor est plus que jamais vivant et devrait, nous l'espérons, porter ses fruits.

Deuxièmement, sans vouloir idéaliser outre mesure le Patriarche, on ne saurait non plus taire le rôle délétère d'un certain contingent oppositionnaire qui, lassé de povoquer Poutine, essaye de jouer sur les nerfs d'une Eglise jusqu'à présent respectée.

Certes, je le répéte, il y a eu alerte et l'Eglise a intérêt à y prêter l'oreille. Elle manque d'unité interne et doit y remédier. De même doit-elle être plus à l'écoute de ses enfants. Ceci dit, en cette période post-électorale, il ne faut pas oublier de séparer le bon grain de l'ivraie et réfléchir aux origines de ces nouvelles provocations dont l'Eglise est devenue maintenant la première cible.

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