B. Blanchard, jeune Français : le Maïdan était formé aux trois quarts de nationalistes

B. Blanchard, jeune Français : le Maïdan était formé aux trois quarts de nationalistes
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Le nœud ukrainien se resserre de plus en plus. La première vraie bombe a explosé lorsqu’une fuite très préoccupante a mis en lumière le véritable degré d’immixtion des USA dans la crise ukrainienne ainsi que le peu de cas que faisait Washington de l’UE, incapable à ses yeux de gérer convenablement les soubresauts du Maïdan.

Madame Nuland avait alors suggéré à l’ambassadeur US en Ukraine, Geoffrey Pyatt, de chérir plus particulièrement Iatseniouk, un ancien de la Banque mondiale, à bien des égards plus fiable que le simple boxeur qu’est Vitali Klitchko. Un mois plus tard, une nouvelle bombe explose révélant la non-implication de Viktor Ianoukovitch dans l’affaire des mystérieux snippers du 20 février. Catherine Ashton et Urmas Paet ignoraient avoir été mis sur écoute lorsque Paet, ministre de l’Intérieur estonien, sans doute inquiet de la tournure que commençait à prendre la campagne de désinformation engagée depuis décembre, déclina à son interlocutrice les arguments d’Olga Bogomolets, médecin personnel de l’ancien Président ukrainien, Viktor Iouchtchenko, et bénéficiaire à l’époque des subsides de Radio-Liberté, à son tour sponsorisée par Georges Soros et la CIA. Selon Mme Bogomolets que l’on aurait du mal à soupçonner de propagande pro-russe étant donné son parcours, les balles qui avaient frappé et les manifestants et les agents du Berkout étaient celles d’un groupe (ou de groupes) de snippers obéissant à des mouvances radicales entièrement étrangères au gouvernement. Comme par hasard, quelques jours après que la conversation d’Ashton et de Paet eut été diffusée sur la toile et fidèlement retranscrite, une analyse très détaillée de Wayne Madsen, ancien contractant de la NSA, nous apprend entre autres que ceux qui avaient tiré sur les manifestants au Venezuela étaient les mêmes que ceux qui avaient tiré sur les forces de l’ordre. L’analogie est tellement fragrante qu’elle gomme d’emblée l’hypothèse d’une éventuelle coïncidence.

En définitive, que voit-on ? Le Venezuela, pays dont la prospérité est exemplaire en Amérique latine, souffre de déstabilisation. A peine entré en fonction, Iatseniouk, le soi-disant Premier ministre ukrainien, est parti la veille à Washington où il a rencontré son employeur, M. Obama. Au menu du jour : le sort de la Crimée dont, d’après les précieuses révélations d’Angela Merkel, seule l’UE (sous la houlette de Washington, cela va de soi) est en droit de se charger, tout comme d’ailleurs de l’Ukraine en général. Pour info, M. Iatseniouk avait favorisé la mutation du Parti national social ukrainien qui, métamorphoses faites, s’est paré du nom très éloquent de Svoboda, c’est-à-dire Liberté. Pourtant, l’habit ne fait pas le moine, surtout quand les masques sont tombés.

Les analyses géopolitiques faisant bon ménage avec l’expérience, j’ai demandé à Benjamin Blanchard, jeune français dont la curiosité naturelle et l’esprit critique l’ont conduit jusqu’au Maïdan, de partager avec nous sa perception de cette longue contestation qui a préparé l’avènement d’un gouvernement putschiste. Voici son témoignage.

La Voix de la Russie. Vous êtes allés à Kiev début février. Est-ce que ce que vous y avez vu correspondait plus ou moins à l’image qui en était donnée par les médias occidentaux et plus particulièrement français ? Entre autres, est-ce que les Kiéviens vous semblaient bien impliqués dans ce mouvement de contestation en somme parfaitement organisé ?

Benjamin Blanchard. « Concernant la première partie de votre question, les manifestants du Maïdan ne correspondaient pas du tout à l’image que voulaient en donner les médias occidentaux. En fait, on nous expliquait en France que c’était de jeunes gens libéraux, pro-occidentaux qui manifestaient pour l’adhésion de l’Ukraine à l’UE. Quelle ne fut ma surprise quand je découvris que pratiquement les trois quarts des gens qui étaient sur la place Maïdan semblaient être des nationalistes de différentes mouvances, soit de Svoboda ou de groupuscules plus radicaux, soit des partisans de Ioulia Timochenko mais qui semblaient d’abord être patriotes avant d’être pro-européens. Par ailleurs, en discutant avec des gens présents sur le terrain – nous sommes quand même restés 4 jours en plein centre des évènements – je ne me souviens que d’une seule personne qui en ces 4 jours nous a dit qu’elle désirait que l’Ukraine adhère à l’UE. Pour les autres, il ne s’agissait vraiment pas d’un sujet d’importance. Ils manifestaient d’abord parce qu’ils voulaient une Ukraine indépendante, parce qu’ils en avaient assez de la corruption du gouvernement de Ianoukovitch qui serait allée selon eux en s’amplifiant par rapport au gouvernement précédent qui était déjà corrompu, enfin, parce qu’ils étaient contre ces revirements incessants de position, notamment en matière de politique étrangère qui, telle qu’elle était menée, ridiculisait l’Ukraine en donnant l’impression qu’elle se vendait au plus offrant, c’est-à-dire un coup à l’UE, un coup à la Russie.

Pour ce qui est de la population kiévienne, nous avons passé le dimanche à nous promener dans Kiev. Ce qui m’a frappé, c’est de relever une certaine indifférence des gens par rapport aux contestations. Il n’y avait aucun drapeau sur les voitures, même aux fenêtres ou aux balcons des immeubles. Il n’y avait aucun signe distinctif que ce soit pro-Maïdan ou pro-Ianoukovitch, donc pro-parti des Régions. L’impression qui en ressortait était celle d’une certaine lassitude, d’une certaine indifférence. C’était, je rappelle, au début du mois de février, avant l’explosion finale de la mi-février (qui a conduit au putsch du 21.02, NDLR).»

LVdlR. Vous avez également rencontré quelques représentants du parti des Régions, parti que l’ancien ministre de l’Intérieur de Ioutchenko voulait interdire. Quelle était leur perception du

Maïdan ? Considéraient-ils que celui-ci avait été entièrement sponsorisé et influencé de l’extérieur ou y avait-il selon eux des éléments descendus dans la rue par pure conviction?

Benjamin Blanchard. « Nous avons passé toute la journée du lundi dans le campement du parc Mariinski qui était un campement organisé par le parti des Régions, une espèce d’anti-Maïdan en soutien au Président Ianoukovitch. La première chose qui nous a frappé c’était précisément son existence parce qu’en France aucun média n’en avait parlé, la deuxième, c’était le nombre de manifestants qui soutenaient ce campement parce qu’ils étaient presque aussi nombreux que ceux du Maïdan le jour où nous y étions (je ne sais si ce fut le cas tout au long des manifestations). Bien évidemment, pour les partisans du parti des Régions, ceux du Maïdan étaient payés, ce qui tombe bien parce qu’on entendait le même type de soupçon vis-à-vis du parti des Régions de l’autre côté des barricades. Certes, il est fort possible que des deux côtés un certain nombre de manifestants ait été payés, ce qui parallèlement n’enlève rien au fait qu’il y avait aussi une grande part de gens venus par conviction. Peut-être que dans le froid, parce qu’il faisait – 26 quand nous y étions, l’aspect financier avait une incidence mais il y avait sûrement un aspect de conviction dans les deux camps. En discutant avec les militants du parti des Régions, une chose m’a frappé : eux aussi étaient là pour défendre l’indépendance de l’Ukraine et sa souveraineté. Donc, en réalité, des deux côtés, les discours qui étaient tenus avaient beaucoup de points en commun, simplement la façon d’aboutir au triomphe de cette souveraineté était perçue différemment puisque ceux du parti des Régions pensaient que la défense de l’autonomie du pays passait par le maintien du Président Ianoukovitch et par une alliance forte avec la Russie. »

LVdlR. Vous venez d’évoquer la notion de souveraineté. Est-ce que (même si ça peut paraître prématuré au début du mois de février) la problématique de la Crimée avait été soulevée, ne serait-ce qu’indirectement?

Benjamin Blanchard. « Non, pas du tout. Il n’y a pas eu une seule personne qui nous a parlé de la Crimée, peut-être parce que nous n’avions pas croisé de Criméens dans les deux camps. Ce qui m’a surpris c’est de croiser – même au Maïdan – des gens de l’Est, des russophones. Du côté du parti des Régions, nouvelle surprise : notre guide qui était l’un des responsables du service de presse était baptiste. Dans les caricatures occidentales, ceux qui soutiennent le parti des Régions sont forcément des russophones orthodoxes du Patriarcat de Moscou. Par contre, ceux d’en face, de l’Ouest, sont forcément ukrainophones. Ce que nous avons vu sortait des caricatures en donnant l’impression d’une situation plus complexe que celle qu’on essayait de nous présenter. » T

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