Rafale: l’Armée de l’air française se coupe-t-elle les ailes pour la Croatie?

© REUTERS / U.S. Air Force/Senior Airman Tyler WoodwardRafale
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La France espère vendre 12 Rafale à la Croatie. Tout comme pour la Grèce, les appareils seront prélevés sur les dotations des forces armées. Un cas de figure qui, selon le rapporteur spécial pour les crédits de la Défense de l’Assemblée nationale, placerait l’Armée de l’air en déficit capacitaire. Analyse.

Après la Grèce, le Rafale fera-t-il des émules en Croatie? Florence Parly était en visite à Zagreb le 23 novembre afin de discuter de l’Europe de la Défense avec son homologue croate, Mario Banožić.

Une idée chère à la France, mais aujourd’hui menacée par l’alternance politique aux États-Unis. Celle-ci devrait en effet, selon toute probabilité, provoquer un renouveau transatlantique et donc jouer contre les espoirs de souveraineté européenne. Mais qu’à cela ne tienne: avec Banožić, Parly aurait notamment évoqué un accès facilité des entreprises croates au programme européen de développement de l’industrie de Défense.

​Jusqu’ici, Zagreb entretenait le projet d’acquérir un avion de combat polyvalent, afin de remplacer ses obsolètes MiG-21 issus des ex-forces aériennes yougoslaves ou achetés à un aréopage de pays de l’ex-bloc soviétique. Bien que du côté croate, on n’en fasse nullement mention dans le compte rendu de la rencontre entre les deux ministres, Florence Parly a rappelé sur les réseaux sociaux que la France avait déposé le 10 novembre une offre portant sur 12 Rafale.

© AFP 2023 MARIO GOLDMANLa France n’est toutefois pas la seule en lice pour remporter ce contrat. Dassault aviation devra compter sur la concurrence de F-16 «Barak» d’occasion de l’israélien IAI, des JAS-39 Gripen C/D MS20 du Suédois SAAB, ainsi que des F-16 «Viper», du numéro un mondial de l’armement, l’américain Lockheed-Martin.
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La France n’est toutefois pas la seule en lice pour remporter ce contrat. Dassault aviation devra compter sur la concurrence de F-16 «Barak» d’occasion de l’israélien IAI, des JAS-39 Gripen C/D MS20 du Suédois SAAB, ainsi que des F-16 «Viper», du numéro un mondial de l’armement, l’américain Lockheed-Martin.

Des appareils prélevés sur les dotations des Armées

De son côté, la France a proposé des Rafale F3, eux aussi d’occasion. Comme dans le cas de douze des dix-huit Rafale en passe d’être commandés par Athènes, ceux-ci seront directement prélevés sur les dotations des armées françaises. Le procédé est généralement présenté comme permettant d’accélérer la livraison. Il interpelle toutefois certains spécialistes de la Défense qui y voient une carence industrielle mal déguisée. Quant au tour de passe-passe budgétaire, celui-ci n’est pas sans conséquence. En effet, les appareils vendus d’occasion seront recommandés flambant neufs auprès de Dassault par le ministère des Armées. Bref, une opération tout bénef pour l’avionneur, mais potentiellement moins pour le contribuable français.

«Il va falloir les refinancer. Là ce n’est pas une feuille de papier, c’est sans doute un sujet à au moins un milliard,» estimait le député Les Républicains (LR) François Cornut-Gentille devant la commission des finances de l’Assemblée nationale.

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Auteur de l’attendu –et redouté– rapport sur les crédits de la Défense, l’élu intervenait le 22 octobre dernier en commission dans le cadre du bouclage du projet de Loi de finances (PLF) 2021. Si le député soulignait la «bonne nouvelle à l’export» que constituerait une concrétisation du contrat Rafale en Grèce, il s’interrogeait sur ses répercutions tant opérationnelles que budgétaires pour une Armée de l’air aux moyens déjà limités. Le député souligne ainsi que si le ministère des Armées reste «dans les clou» budgétairement, l’atterrissage s’avère «à chaque fois relativement périlleux», sauvé cette année par le surplus de retards en matière d’équipements militaires (programme 146) provoqué par la crise sanitaire.

Même constat quant au prélèvement d’autant de Rafale en cas de signature avec la Croatie: le «problème à un milliard» provoquera immanquablement un déficit en capacités opérationnelles pour la composante air des forces armées françaises, estime ainsi le responsable du rapport «Défense: préparation de l’avenir». Dans ce document, le député note que l’Armée de l’air sera en déficit capacitaire en l’absence de «commandes nouvelles non programmées de 24 Rafale.»

Une Armée de l’air en déficit capacitaire

Un point qui n’a pas échappé au Canard enchaîné qui, dans son édition du 25 novembre, tacle une armée «désarmée». Reprenant les chiffres de ce rapport de 370 pages du député LR, concernant la disponibilité du matériel des différentes armes, le palmipède rappelle que sur les 152 Rafale dont dispose la France, «seulement un sur deux est actuellement prêt à balancer une bombe nucléaire ou un missile.»

Un Rafale sur deux opérationnel: un constat dramatique… mais à la vue des statistiques de l’Armée de l’air, le dernier-né de Dassault Aviation est celui qui tire le mieux son épingle du jeu. Du côté de son grand frère, le Mirage 2000-D, le taux de disponibilité n’est que de 39,7% «en progrès», note toutefois le député, par rapport aux 33,8% de 2018. Les Rafale, quant à eux, suivent une mauvaise pente: bien que le nombre de Rafale augmente, leur disponibilité diminue d’année en année. Le rapport indique ainsi qu’en 2019, seule la moitié d’entre eux (50,2% des 105 Rafale et 49,2% des 42 Rafale Marine) étaient disponibles. En comparaison, ces deux taux étaient encore, respectivement, de 55,4% et 56,9% en 2017.

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La faible disponibilité du matériel dans l’armée française, un vieux serpent de mer qui avait violemment ressurgi à l’arrivée de Florence Parly à Balard lorsque dès l’été 2017, Bercy imposait à la Grande Muette une coupe budgétaire de 850 millions d’euros. Cette annonce avait notamment provoqué le très médiatisé coup de sang du chef d’État-major d’alors, le général Pierre de Villiers, qui fut contraint au départ. Afin d’inverser la tendance, la nouvelle ministre des Armées avait créé quelques mois plus tard une «direction de la maintenance aéronautique» (DMAé). La nouvelle organisation se donnait trois ans pour redresser la barre. De son côté, le chef de l’État promettait un budget de la Défense «inédit et incomparable» porté à 2% du PIB d’ici à 2025.

Budget en surchauffe; des ventes et des retards bienvenus?

L’aggravation semble avoir été endiguée concernant certains appareils et l’objectif des 2% a été atteint avant l’heure, du fait de la contraction du PIB provoquée par la crise du Covid-19. Néanmoins, les promesses de l’exécutif en matière de capacités opérationnelles de l’Armée de l’air se heurtent à une dernière variable, et non des moindres: les capacités de production de Dassault. Si Florence Parly a promis début octobre, devant l’Assemblée, que les avions prélevés pour la commande grecque seraient remplacés, les chaînes de production de l’avionneur à Mérignac tournent déjà à plein régime afin d’honorer les commandes indienne, qatarie et égyptienne.

Résultat: initialement prévue entre 2019 et 2021, la livraison des 28 derniers Rafale destinés aux armées françaises a été reportée de trois ans. Par ailleurs, une commande de 32 appareils neufs pourrait rallonger ce carnet de commandes bien rempli si la Suisse confirmait son intérêt pour le Rafale. Difficile, à première vue, de faire entrer au chausse-pied 24 Rafale supplémentaires afin d’atteindre l’objectif de détenir une flotte de Rafale pleinement opérationnelle d’ici 2025.

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