Fusion Peugeot-Fiat: prémisse d’un énième suicide français?

© REUTERS / Christian HartmannThe logos of French car maker Peugeot and German car maker Opel are seen at a dealership in Villepinte, near Paris, France, February 20, 2017.
The logos of French car maker Peugeot and German car maker Opel are seen at a dealership in Villepinte, near Paris, France, February 20, 2017. - Sputnik Afrique
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PSA Peugeot Citroën et Fiat-Chrysler ont confirmé leur projet de fusion. Si le Français domine son concurrent, moribond, le futur ensemble sera basé aux Pays-Bas et chacun en détiendra 50% des parts. Énième illustration de ces médiatiques «mariages entre égaux», qui se soldent systématiquement en défaveur des intérêts industriels français.

Coup de maître ou mauvaise affaire pour PSA Peugeot-Citroën? L’entreprise familiale française et Fiat Chrysler Automobile (FCA) ont annoncé leurs fiançailles ce jeudi 31 octobre, après que les négociations sur une telle éventualité aient été ébruitées deux jours plus tôt par le Wall Street Journal, avant d’être confirmées par une source proche du dossier citée par l’AFP.

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Dans la foulée, si les marchés ont salué une telle perspective, la presse tricolore n’a pas été en reste. Clairement sous le charme, cette dernière a repris en boucle les habituels éléments de langage marketing avancé lors de l’annonce de ce type d’opération, familiers depuis le rachat d’Alstom par General Electric. Elle répète ainsi que le futur groupe serait «champion mondial» de la «mobilité» (visiblement, il ne faut plus dire automobile), le n° 4 du secteur derrière Volkswagen, Toyota et l’alliance Renault-Nissan. La presse ressort également la vieille rengaine de la nécessité pour un acteur tel que Peugeot d’atteindre une «taille critique» dans un secteur en pleine mutation. Enfin, elle se félicite que l’«imperator» Carlos Tavares, PDG du constructeur automobile français, deviendrait le patron du nouveau groupe, certains se laissant aller à estimer que si le projet de fusion aboutissait, il s’agirait d’un «camouflet» pour Renault. Pourtant, il n’est plus question d’un rachat de l’Italo-Américain par le Français, mais d’un… «mariage entre égaux».

Sans surprise, après ces négociations restées particulièrement discrètes jusqu’au tout dernier moment, ce 31 octobre au matin, on apprend que la fusion se traduira par un déménagement du siège social de la nouvelle entité aux Pays-Bas, «pays neutre»… où est pourtant déjà basée la holding de la famille Agnelli, détentrice de Fiat… Pour ceux à qui il faut faire un dessin, le groupe de Sochaux s’apprête à tourner une page de 209 ans d’histoire industrielle française.

«Le Mariage entre égaux, recette infaillible du désastre»

Pourtant, rares sont les économistes ou professionnels de la finance à croire à la fable du mariage à «50-50», contrairement à un certain nombre de journalistes des grands médias qui les interviewent.

«Les raisons de l’échec tiennent toujours à des déséquilibres intrinsèques, volontairement tus dans l’acte de mariage, qui rendent la notion même d’égalité illusoire, voire mensongère», résumait en mars Philippe Mudry, directeur général du groupe de presse l’Agefi.

Le journaliste et patron du groupe de presse économique et financière soulignait les échecs qui «abondent» en matière de «mariages entre égaux» depuis «des décennies», qu’il s’agisse de fusion entre deux concurrents– où l’un est «plus égal» que l’autre, menant à un déséquilibre tant dans la répartition à terme des postes clefs que dans la suppression inévitable des postes en doublons– où dans le cas de deux groupes complémentaires, cas de figure où le clash des cultures d’entreprise est inévitable. «La réussite des mariages équilibrés, surtout transnationaux, demeure l’exception et l’échec la règle», met-il en garde, évoquant les difficultés rencontrées autour d’Airbus et d’Air France-KLM.

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En somme, comme nous le répétons depuis des années, le «mariage entre égaux» n’est qu’un argument purement marketing, destiné aux déclarations officielles à la presse et à rassurer les gouvernements des États actionnaires. Dans les faits, la prise de contrôle à terme par l’un des deux mariés est tout bonnement inévitable. Ceci étant dit, reste donc à savoir qui de PSA ou de FCA prendra l’ascendant sur l’autre. Autant dire que c’est loin d’être gagné pour la partie française…

En effet, si sur le papier, Peugeot est largement plus fiable que son concurrent italo-américain, les exemples de géants français avalés par plus petit qu’eux au sein de «mariages entre égaux» sont pléthoriques. Comment ne pas penser à Lafarge, leader mondial du béton, uni au numéro deux du secteur, le Suisse Holcim, qui aussitôt déménagé le siège social de la nouvelle entité à Zurich… Nul doute que d’ici quelques années, le cimentier paraîtra plus helvétique que français…

À ce jeu de prise de pouvoir, l’exemple le plus accablant est celui de la fusion «entre égaux» de Technip et FMC. Les dirigeants français du groupe de services pétroliers –deux fois plus gros que le Texan FMC– ont ainsi eu la mauvaise surprise de se voir remplacés par des Américains, jusqu’à ce que la nouvelle structure tombe intégralement sous leur contrôle. Le point d’orgue étant le départ du PDG de Technip, qui était passé à la tête du nouvel ensemble, poussé vers la sortie par son homologue de FMC.

Un scénario qui aurait dû se répéter lors de la fusion –avortée par la Commission européenne– entre la branche ferroviaire d’Alstom et son homologue allemand Siemens Mobility. Malgré un carnet de commandes du français quatre fois et demie plus gros que celui de l’allemand, là encore nous avons entendu le refrain du «mariage entre égaux». Le futur siège devait être à Paris, ce qui devait rassurer l’opinion, cependant Siemens avait obtenu l’autorisation de monter au capital du nouvel ensemble après quatre années, contrairement à la partie française… en somme, il s’agissait à l’époque ni plus ni moins du don d’Emmanuel Macron d’Alstom au conglomérat allemand, tout cela drapé dans le vœu pieux de créer un «Airbus du rail».

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Autant d’exemples qui devraient inciter à la plus grande méfiance, même si les fiançailles entre PSA et FCA semblent présenter des gages à la France. Ainsi, il est acté que Carlos Tavares, actuel PDG du constructeur français, se retrouve aux manettes d’un groupe nécessitant le redressement de la santé d’un FCA en perdition. Champion du rétablissement d’entreprise en difficulté aux yeux de la presse française, qui se souvient de son action à la tête d’Opel, Tavares est un Carlos Ghosn bis (il fut le n° 2 de Renault). Rien ne dit pourtant qu’à l’issue de son mandat de cinq ans ou même avant, ce n’est pas la composante italienne qui prendra le contrôle de l’ensemble du futur groupe.

Si actuellement, PSA Peugeot Citroën pèse plus lourd en bourse que FCA (22 milliards d’euros contre 18), FCA a su négocier à son avantage. Afin d’être de combler l’écart de capitalisation et de se retrouver à 50-50, Peugeot cède à ses actionnaires les 46% du capital de l’équipementier Faurecia, pour 3 milliards d’euros. Un groupe peu connu du public, qui pèse tout de même 122.000 employés dans le monde. En contrepartie, le groupe italo-américain versera à ses actionnaires un dividende exceptionnel en cash de 5,5 milliards… balle au centre!

Contrairement à Peugeot, Fiat-Chrysler a tout à gagner dans cette fusion

On l’avait compris au moment du projet de fusion avec Renault, Fiat-Chrysler va mal. Comme la plupart des constructeurs américains, FCA est réputé pour son manque «chronique» d’investissements dans la recherche et le développement des technologies de demain (voiture électrique, autonome, diminution des émissions), point sur lequel au contraire excelle Peugeot. Si on suit la logique, PSA aurait donc besoin de FCA afin de soutenir financièrement des investissements auxquels FCA n’a jamais voulu consentir…

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Si la R&D n’a jamais été une priorité pour Fiat-Chrysler, qui préfère exceller en matière de marges, on nous dit que le Français pourrait profiter de l’expertise marketing de son nouvel allié. À l’époque du projet d’alliance avec Renault, après le retrait de l’offre de FCA, la presse avait dressé un portrait au vitriol du groupe italo-américain: à ses yeux, seule les marques Jeep et RAM étaient en mesure d’apporter une quelconque plus-value au groupe Renault, le reste de la gamme des véhicules proposés par FCA étant alors jugée de «vieillissante». Visiblement, cinq mois plus tard, la situation serait radicalement différente.

Cerise sur le gâteau aux yeux des observateurs: la possibilité pour PSA de rentrer par la «grande porte» sur le marché américain, réputé «extrêmement verrouillé»… On remarquera pourtant qu’il est également moribond, sans parler des contraintes géopolitiques qui l’accompagnent. En témoignent les mésaventures du groupe français en Iran (alors son premier marché) à l’époque où General Motors était monté à son capital…

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