Six mois de Gilets jaunes, vus côté police : «Castaner est totalement en roue libre»

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Christophe Castaner - Sputnik Afrique
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Comme depuis maintenant six mois, des milliers de policiers et gendarmes ont été mobilisés le 18 mai afin d’encadrer l’Acte 27 des Gilets jaunes. Des heurts ont encore éclaté dans plusieurs villes. Sputnik France a demandé à Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat de police Vigi, de nous livrer son sentiment sur ce semestre en jaune.

Vitres brisées, mobiliser urbain dégradé, poubelles en flammes. Mais aussi nouvelles polémiques sur les violences policières. L'Acte 27 des Gilets jaunes, le plus faible en mobilisation selon les chiffres du gouvernement, sentait encore le soufre. Il a surtout marqué les six mois du mouvement. Le temps d'un bilan est venu. Avec du recul.

​Le policier Alexandre Langlois et son syndicat Vigi ont été en première ligne durant cette période agitée. Critiquant notamment les choix faits en termes de maintien de l'ordre, son organisation et lui-même s'en sont pris à de nombreuses reprises à la chaîne de commandement de la police et à sa tête: le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner. Le policier lanceur d'alerte s'est confié à Sputnik France. Avec, comme à son habitude, un dédain certain pour la langue de bois. Interview.

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Sputnik France: l'acte 27 des Gilets jaunes a marqué les 6 mois de la mobilisation. Diriez-vous qu'elle a changé la France?

Alexandre Langlois: «Dans un certain sens, oui. Concernant la police, ces six mois ont été le théâtre de choses que l'on n'avait pas vu depuis très longtemps sur le maintien de l'ordre, avec notamment une escalade de la violence et un emploi massif de gaz dit lacrymogène. Sans parler du retour des "voltigeurs". Les autorités disent avoir mis en place de nouvelles méthodes de maintien de l'ordre, alors qu'elles ne font que recycler d'anciens procédés catastrophiques et l'on arrive à des choses assez graves. Autre point important: les "fake news" lancées par Christophe Castaner, qui s'emmêle souvent les pinceaux lors de ses prises de parole, avant d'être obligé de se justifier. Pour le reste et concernant les policiers, ils ont continué à faire des heures supplémentaires et à être opposés à la population. Nos collègues ont bien compris que ce gouvernement se moquait de nous. Il commence à regarder vers les retraites, il n'a pas tenu sa parole concernant les augmentations de salaire, il ne veut toujours pas discuter avec l'ensemble des policiers, nos collègues continuent de se suicider sans que rien ne soit fait pour les protéger. Ils ont donc bien compris que rien ne serait fait par ce gouvernement pour améliorer la situation.»

Sputnik France: De nouveaux heurts ont éclaté entre force de l'ordre et manifestants lors de l'acte 27. Quel est le sentiment de vos collègues par rapport au mouvement? A-t-il évolué au fil des samedis?

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Alexandre Langlois: «Au début, quand c'était encore assez bon enfant, nos collègues étaient assez dubitatifs, sans trop d'avis sur la question. Ensuite, la violence perpétrée par des groupes extérieurs qui sont venus se greffer aux manifestations les a poussés à vouloir rester sur le terrain et défendre les citoyens. Le tout avec les ordres incohérents que l'on a pu recevoir et qui ont pu aboutir à des situations catastrophiques, aussi bien pour les policiers que pour les manifestants, voire pour les riverains qui n'ont rien demandé. Concernant les Gilets jaunes, dans le cas où ces derniers seraient encore maîtres de la rue et non les groupes violents et infiltrés, les policiers pourraient envisager de poser le casque et le bouclier. Malheureusement, le gouvernement a laissé ces groupes composés de black blocs et de délinquants pourrir les manifestations. Quand des individus ont ciré "suicidez-vous!" aux policiers sur la place de la République le 20 avril, le ministre de l'Intérieur s'est scandalisé. Mais la place était nassée. On aurait pu les interpeller. Cependant, les ordres n'ont pas été donnés. Si ces groupes d'extrémistes et de fanatiques qui perturbent à la fois l'expression d'un mouvement social et vont à l'encontre des forces de l'ordre étaient contenus ou interpellés, le soutien de nos collègues aux Gilets jaunes serait majoritaire.»

Sputnik France: Comment vous placez-vous sur le débat des violences policières, une polémique qui n'a fait qu'enfler depuis le début du mouvement?

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Alexandre Langlois: «Il y a toujours une distinction à faire entre la violence légitime, celle dont on peut user dans le cadre de notre mission de protection des citoyens et la violence illégitime, qui doit être sanctionnée encore plus gravement que lorsqu'elle est le fait d'un civil. Le problème vient de notre ministre, qui a été dans le déni de tout ce qui a pu se passer sur le terrain et qui a nié les violences avant qu'on ne lui mette les choses sous le nez. Cela a créé des dissensions. Chez Vigi, nous avons toujours demandé à ce que les policiers soient plus blancs que blancs. Mais l'individu qui est à la tête du ministère de l'Intérieur préfère l'opacité et fait semblant de soutenir ses troupes en laissant faire tout et n'importe quoi. Tout cela a pour résultat de compliquer la tâche de tous les policiers qui veulent assurer leur mission de façon honnête et républicaine.»

Sputnik France: Votre avez alerté sur le danger potentiel de l'exposition prolongée, semaine après semaine, au gaz lacrymogène, qui touche manifestants comme policiers, passants comme journalistes. Où en êtes-vous de vos recherches?

Alexandre Langlois: «Nous continuons à creuser. D'ici quelques jours, nous publierons un document au sujet des conséquences qu'une telle exposition peut avoir à moyen et long terme. Selon nos recherches, basées sur le travail d'experts américains, ce type de gaz peut être appelé "lacrymogène" quand le taux de concentration ne dépasse pas 3% de gaz dit CS. Les grenades commandées par la France avant 2017 contenaient 15% de ce gaz. Après cela, on ne sait pas, car le gouvernement a cessé de communiquer sur le contenu de ces engins. Au-delà de 3% de gaz CS, c'est un produit qui attaque gravement la santé des gens. Une agence de l'Union européenne classe d'ailleurs l'agent CS dans les produits très dangereux. C'est une catastrophe de l'utiliser encore. Pour le moment, ce que nous avons trouvé ne va pas dans le bon sens et l'on pourrait envisager de graves conséquences sanitaires dans les prochaines années.»

​Sputnik France: Votre syndicat a beaucoup fait parler de lui lors de ces six premiers mois de mobilisation. Vous-même avez été convoqué en conseil de discipline pour manquement au devoir de loyauté, notamment pour avoir dénoncé ce que vous qualifiez de dysfonctionnements majeurs au sein de la police nationale. Vous avez même interpellé le ministre de l'Intérieur sur une affaire d'agressions sexuelles perpétrées par un médecin de la police. Qu'est-ce que le mouvement des Gilets jaunes a fait apparaître du fonctionnement de la police et du ministère de l'Intérieur?

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Alexandre Langlois: «Il a juste mis en exergue ce qui existait déjà. Nous avons un ministre totalement en roue libre, qui couvre tout et n'importe quoi. Avant, les choses se faisaient de manière beaucoup plus feutrée. Le gouvernement n'assumait pas de façon aussi claire de tirer sur son peuple avec du gaz et de couvrir la hiérarchie quand elle fait tout et n'importe quoi. Il y avait un minimum de décence. Quand c'était trop, les ministres revenaient à la raison. Nous sommes dans une mauvaise surenchère. Le mouvement des Gilets jaunes a permis de mettre tout cela en évidence, mais pas de le corriger. La preuve est que nous avons un ministre de l'Intérieur qui est toujours là, malgré toutes ses casseroles, malgré ses "fake news", alors que c'est son propre gouvernement qui a fait une loi pour lutter contre. Et cela n'empêche pas le Premier ministre Édouard Philippe de renouveler sa confiance à Castaner. Tout ceci est aberrant et pas vraiment républicain à notre sens.»

Sputnik France: l'acte 27 a marqué la plus faible mobilisation depuis le début du mouvement, selon les chiffres officiels. Un acte 28 est d'ores et déjà prévu le samedi 25 mai, week-end des élections européennes. Comment voyez-vous la suite du mouvement?

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Alexandre Langlois: «Je ne veux pas me mettre à la place des Gilets jaunes. Vigi a toujours été solidaire du mouvement sans s'y associer officiellement, pour éviter toute polémique de récupération. Au début, les Gilets jaunes avaient réussi à obtenir une large adhésion de la population sur la thématique des taxes et du pouvoir d'achat qui touche le plus grand nombre, policiers compris. Ensuite, d'autres revendications plus clivantes ont fait leur apparition. Puis les choix faits par le gouvernement et les ordres que l'on a reçus ont fait que des éléments extérieurs type black blocs, délinquants ou criminels sont venus perturber les cortèges. Résultat: il est aujourd'hui risqué de venir manifester. Sans parler de tout ce qui a été dit par la majorité pour criminaliser les manifestants avec des phrases comme "complices des casseurs" ou Aurore Bergé qui parlait de "terrorisme urbain". Je pense que les Gilets jaunes doivent trouver d'autres modes d'expressions pacifiques de façon à faire plier le gouvernement, afin qu'il entende la colère de la rue. Le Grand débat n'a abouti sur rien comme mesures prises pour faire face à cette crise. Après les Européennes, nous espérons que le mouvement saura se structurer et s'organiser pour rassembler le plus possible. Le tout en évitant les violences et les pièges tendus par le gouvernement afin que l'on débatte sur le fond et pas sur la forme. Les policiers aussi veulent vivre mieux à la fin du mois.»

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