Le retour du fils de Kadhafi en politique signerait «la mort des Printemps arabes»

© Sputnik . Andrey Stenin / Accéder à la base multimédiaUn habitant de Benghazi (Libye) brûlant un portrait de Mouammar Kadhafi
Un habitant de Benghazi (Libye) brûlant un portrait de Mouammar Kadhafi - Sputnik Afrique, 1920, 02.08.2021
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10 ans après la mort de son père, le fils de Mouamar Kadhafi lorgne le trône libyen. Mais son pays est détruit par la guerre et soumis aux intérêts étrangers. Pour accéder au pouvoir, Seif al-Islam devra transformer sa popularité en soutiens des partis politiques libyens et faire face à un concurrent soutenu par l’Onu.
Tout ça pour ça?
10 ans après la chute de Mouammar Kadhafi en novembre 2011, son deuxième fils, Seif al-Islam se verrait bien en nouveau «guide» du peuple libyen. Aujourd’hui, c’est officiel: après les rumeurs récurrentes annonçant son retour en politique, il a évoqué, dans un rare entretien accordé au New York Times, son souhait de se présenter aux futures élections présidentielles en Libye en décembre prochain.
Pourtant, avant le début des Printemps arabes, le second fils du colonel était déjà pressenti pour devenir l’héritier naturel du trône. Mais l’opération Harmattan menée par l’Otan en 2011, qui a conduit à l’éclatement de la société libyenne en plusieurs milices, a mis à mal les plans de la famille Kadhafi. Il en fallait apparemment plus pour l’arrêter.

Populaire, mais condamné à mort dans son pays

L’abnégation de Seif al-Islam, kidnappé par une milice dès 2011 et relâché en 2017, le ramène au-devant de la scène. «Il est en train de saisir une opportunité politique», commente au micro de Sputnik Younes Belfellah, enseignant-chercheur en science politique à l’Université de Paris-Est Créteil.
«Seif al-Islam a gravité dans l’orbite de son père pendant plusieurs années. Il représentait un peu le volet moderne, avec de nombreux voyages à l’étranger. Aujourd’hui, il se place de facto comme une alternative de plus en plus plausible face à ce vide politique. Fait marquant qu’il ne faut pas minorer, c’est sa popularité qui pourrait le permettre d’unir et de fédérer.»
Dès 2018, le fils du défunt colonel pouvait se targuer d’être populaire au sein de la société civile libyenne. Selon un sondage local, plus de 90% des personnes sondées le soutenaient «pour reconstruire l’État et achever les projets de la Libye de demain». Une popularité qui dénote quelque peu de son image à l’international. En effet, Seif al-Islam reste sous le coup d’un double mandat d’arrêt. Le premier délivré par les autorités libyennes de Tripoli, où il a même été condamné à mort en 2015 pour crime contre l’humanité pour sa participation dans la répression meurtrière du soulèvement contre son père. Le second émane de la Cour pénale internationale (CPI) pour les mêmes motifs. Les deux procédures sont encore en vigueur.

La Libye à la croisée d’intérêts internationaux

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Mais indépendamment des poursuites judiciaires à son encontre, si Seif al-Islam veut se propulser à la tête de la Libye, il a du pain sur la planche. Depuis le début des affrontements en 2011, le pays est devenu le théâtre de guerre d’influences entre grandes puissances régionales et internationales. «Les différents partis libyens sont des pantins aux mains des étrangers», précise le spécialiste de monde arabe. Le sous-sol libyen, riche en hydrocarbures, attise les convoitises étrangères. La Libye est l’un des quatre producteurs de pétrole du continent africain et sa production a atteint les 1,2 million de barils par jour en 2021, soit un peu moins que le volume extrait au temps de Kadhafi.

De surcroît, le pays est la porte d’entrée vers le Tchad et le Niger, deux pays importants, notamment pour la France. «Paris joue gros sur le conflit libyen. En s’investissant sur le terrain, il voulait faire la jonction avec le Sahel et ses zones d’influences au Mali et en Centrafrique», souligne Younes Belfellah. Et la France n’est pas la seule à s’intéresser à la région, rappelle le spécialiste:
«Pour des raisons économiques et historiques, l’Italie garde un œil sur ce dossier. Les Émirats refusent catégoriquement que le pays tombe sous la main des Frères musulmans*, donc ils financent un camp plus qu’un autre. Il y a le rôle actif également du voisin égyptien, qui refuse que sa frontière soit un nid à terroristes. Les Russes jouent également un jeu auprès des forces de Benghazi. Mais c’est la Turquie qui s’est dernièrement le plus investie dans ce dossier, sans parler des États-Unis, qui regardent de très près les avancées sur le terrain.»
En effet, dans le sillage de la politique néo-ottomane d’Ankara, la Turquie a noué des liens avec les forces de Tripoli. Les autorités turques détiennent une base navale à Misrata, une base aérienne dans un aéroport de Tripoli, ainsi qu’une base militaire à al-Watiya. Outre le volet militaire, les réserves gazières au large des côtes libyennes attireraient Erdogan. En 2019, un accord avec le gouvernement d’union nationale (GNA) a-t-il ainsi permis à la Turquie d’étendre sa zone économique exclusive au détriment de Chypre, de la Grèce et d’Israël. Ce partenariat turco-libyen a été renouvelé en avril 2021.
Mais avant de traiter avec les grandes puissances, Seif al-Islam «devra s’assurer d’avoir le soutien de partis politiques en interne», juge Younes Belfellah.

Stabilité, enjeu intérieur majeur

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Et ce n’est pas une mince affaire au vu du morcellement de la société civile libyenne. Deux courants majeurs dominent l’échiquier politique: à l’Est, les forces du maréchal Haftar et à l’Ouest, le gouvernement d’union nationale, reconnu par l’Onu et actuellement présidé par Abdel Hamid Dbeibah. Seif al-Islam entretiendrait de bons rapports avec le premier, le maréchal Haftar ayant été un camarade de la première heure de Mouammar Kadhafi. Les deux militaires avaient participé au coup d’État contre Idris 1er en 1969. Mais le fils prodige peut surtout compter sur le soutien inconditionnel des tribus du sud du pays dans la région du Fezzan.

Or, il n’est pas le seul à lorgner sur la présidence. Pour le spécialiste de la région, c’est Abdel Hamid Dbeibah qui sera «le concurrent direct» du fils Kadhafi, car il jouit d’une reconnaissance internationale. 
«L’un [Dbeibah, ndlr] est populaire à l’étranger, l’autre [Seif al-Islam, ndlr] est populaire dans son pays. Mais le principal défi auquel devra répondre le futur président libyen est avant tout sécuritaire. Des milices restent présentes sur le terrain, notamment à Misrata, où elles font leur loi. Il y a également la présence résiduelle de l’État islamique*. Ne pas avoir l’accord des milices équivaut indubitablement à de futurs affrontements.»
Au-delà de toutes les difficultés intérieures et extérieures qu’il devra surmonter, le retour de Seif al-Islam en politique annoncerait surtout «la mort des Printemps arabes», estime Younes Belfellah.
«Il y a 10 ans, le peuple libyen et les peuples de la région dans l’ensemble demandaient plus de liberté, plus de démocratie. Mais aujourd’hui, les aspirations ont changé, les peuples demandent de la stabilité et de la sécurité, donc un retour aux valeurs défendues par Mouammar Kadhafi. Le retour de Seif al-Islam signe l’échec de la décennie qui aura mené à la violence et à la radicalisation de la société libyenne», conclut-il.
* Organisation terroriste interdite en Russie
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