Le cinéma vire au fast-food

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MOSCOU, 25 août - Olga Sobolevskaïa, RIA Novosti. La question essentielle qui se pose aujourd'hui pour les cinéastes russes est de savoir comment élargir le marché, améliorer la compétitivité de leurs produits et attirer des investissements.

La distribution, par contre, connaît une croissance fulgurante. "Dans un an, nos salles récolteront 500 millions de dollars. Aucun autre secteur de l'économie nationale ne progresse avec autant de rapidité", constate le rédacteur en chef du magazine Iskousstvo Kino (L'Art du cinéma), Daniil Dondoureï. En 2004, les recettes se sont chiffrées à 270 millions de dollars, et une fourchette de 350 à 370 millions est attendue cette année. D'ici quatre ans, 2 000 cinémas russes seront équipés en Dolby. Un résultat qui aurait été impossible si l'industrie cinématographique américaine, avec ses lois strictes, n'y avait pas contribué. "Hollywood a reconstruit nos salles et a fait revenir les spectateurs", reconnaît le producteur Sergueï Selianov, car la production russe se trouvait dans un état de coma dans les années 1990.

En 2000, la Russie comptait 13 films en distribution. En 2005, elle en dénombre 80, mis à part les séries télé. Une soixantaine de ces productions ont bénéficié d'un soutien de l'État. Selon M. Dondoureï, l'État investit tous les ans plus de 50 millions de dollars dans l'industrie cinématographique. L'État et la télévision restent les principaux producteurs du cinéma. Ainsi, la Première chaîne dépense des millions de dollars pour la publicité de ses produits. Les investissements publics dans le cinéma ont quintuplé au cours de ces dernières années.

Toutefois, ces résultats restent insuffisants. Le président du Festival du film de Moscou, le réalisateur Nikita Mikhalkov, souligne que l'industrie cinématographique "a besoin d'un puissant effort d'investissement auquel l'État ne peut pas consentir". Comme beaucoup d'autres cinéastes, il veut que "sur chaque billet vendu d'un blockbuster étranger des intérêts soient versés au profit du cinéma russe". La question ne cesse d'être débattue. Naturellement, les distributeurs sont contre un tel "impôt", et on ne peut pas ne pas en tenir compte: le répertoire des salles russes est essentiellement constitué de films américains.

Pour ce qui concerne les technologies et les effets spéciaux, les Américains n'ont pas d'égal, toute rivalité est inutile. Leurs dépenses publicitaires sont également hors de portée. La promotion d'un film américain représente 60% de son budget, celle d'un film russe est au-dessous de 10%. Le marketing permettant de pronostiquer la conjoncture et l'avenir des films est toujours absent en Russie. Il faut avoir du courage pour sponsoriser un film. Le producteur Leonid Verechtchaguine reconnaît: "Pour le moment, nous ne rentrons pas dans nos frais. Nos spectateurs viennent voir des films américains et européens pour le spectacle. Et pour le spectacle il faut des technologies, des effets spéciaux qui coûtent les yeux de la tête. Nous ne pouvons même pas lancer un poignard de manière à ce que cela impressionne le public, que dire alors des courses automobiles?"

Les cinéastes sont nombreux à se plaindre: pas assez de bonnes idées, pas de bons scénarios et pas de réalisateurs professionnels. "Le monde traverse une grande crise des idées", déclare Nikita Mikhalkov. L'essence même de l'art est dans une impasse, selon le cinéaste Andreï Kontchalovski: "La quête de la vérité est supplantée par celle du divertissement". L'individualité s'en va, les styles de création originaux disparaissent. "Les jeunes réalisateurs viennent de la publicité. Ils connaissent les procédés techniques, mais le langage, le contenu, ce qui fait l'individualité de l'auteur, devient chez eux une masse amorphe. Impossible de distinguer un réalisateur d'un autre". Kontchalovski étend sa critique aux grands réalisateurs américains. "Peut-on parler du langage individuel de Spielberg?" s'interroge-t-il.

Le cinéma devient un fast-food, une fois avalé on l'oublie, peu importe qui a fabriqué le "hamburger". En règle générale, l'argent ne suffit pas pour tourner un film de qualité. D'ailleurs, cet objectif n'est même pas posé, les réalisateurs se trouvant face à un dilemme: soit le succès commercial, soit l'individualité. Même les réalisateurs de talent d'entre deux âges qui ont tourné d'excellentes productions perdent du terrain. Un réalisateur s'exclame: "Andreï Tarkovski a porté un énorme préjudice à notre cinéma: il a imposé un style spécifique devenu la norme".

L'État est plus actif à protéger les droits de licence des produits vidéo et DVD. Cela signifie que plus d'argent sera investi dans le cinéma. Mais une chose est évidente: ces investissements ne garantissent pas une meilleure qualité. On pourrait bien sûr créer des agences générant les idées cinématographiques, comme aux États-Unis. Mais la notion d'art cinématographique doit a priori recevoir un sens profond sans renoncer à son potentiel psychologique, moral ou patriotique.

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