Le coup de maître de Theresa May

© REUTERS / Peter NichollsTheresa May
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Un événement d’une importance considérable vient de survenir en Grande-Bretagne. Il pourrait bien avoir des répercussions aussi en France et dans plusieurs pays européens.

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Madame Theresa May, vient de prendre une mesure quasiment révolutionnaire dans le contexte de son pays. Présidant la première réunion de la commission interministérielle sur la "stratégie économique et industrielle" le mardi 2 août, elle s'est engagée à mettre sur pied une véritable politique industriel. Dans la Grande-Bretagne ravagée par plus de 35 ans de « néo-libéralisme », ceci équivaut à une petite révolution. Le fait qu'elle soit engagée par un Premier ministre conservateur, le parti de Margaret Thatcher, souligne le caractère révolutionnaire du tournant. Ce tournant, qui existe aussi potentiellement en France, sauf au P « S » (à part A. Montebourg) et chez les « Républicains » (à part H. Guaino et J. Myard), a été incontestablement accéléré par le vote du 23 juin dernier. Ce tournant était cependant sensible chez les économistes depuis ces dernières années(1). La politique industrielle était présente chez des auteurs hétérodoxes depuis longtemps (2). Elle correspond à la prise en compte des aspects négatifs de la mondialisation (3). Le retour en grâce d'une forme de volontarisme est patent.

Une révolution?

Cette décision, ne fait que traduire en actes ce qui était déjà contenu dans le discours d'investiture de Theresa May. Le porte-parole du gouvernement a déclaré après la réunion de la commission interministérielle:

"La Première ministre a souligné que l'objectif de la nouvelle stratégie industrielle devait être de mettre sur pied une économie qui fonctionne pour tout le monde".

Qu'est-ce à dire? Il y a à l'évidence une dimension opportuniste dans cette politique. Mais, c'est bien la première fois qu'un chef du gouvernement britannique affirme sont intérêt pour secteur secondaire depuis que Margaret Thatcher avait enterré le concept de politique industrielle il y a plus de trente ans de cela. Cette nouvelle politique industrielle va donc conduire le gouvernement à aider les industries qui font la force du Royaume-Uni, comme l'automobile (Jaguar Land Rover) et l'aéronautique avec BAE Systems mais aussi les nouvelles industries, comme le fabricant de puces électroniques ARM Systems, ou même la sidérurgie. La chute de la Livre Sterling, en effet, modifie favorablement la compétitivité des productions en Grande-Bretagne. La décision du groupe pharmaceutique GlaxoSmithKline a d'ailleurs annoncé mercredi 275 millions de livres de nouveaux investissements dans ses sites de production en Grande-Bretagne.

La dépréciation de la livre et au-delà

Il faut alors penser l'ensemble des implications de ce tournant vers une véritable politique industrielle. La dépréciation de la Livre constitue un élément de cette politique. Certes, cet élément reste primitif. Mais, on n'a jamais vu de politique industrielle dans un pays dont la monnaie est surévaluée. Or, une étude du FMI montre qu'en moyenne le taux de change réel de la Livre était en 2015 surévalué de 12,5%. On peut considérer que le taux actuel de 0,85 Livre pour 1 Euro correspond à ce dont la Grande-Bretagne a aujourd'hui besoin.

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Développer une politique industrielle avec des chances raisonnables de succès impose aussi de contrôler le système de financement. Cela implique de retrouver la souveraineté sur la politique monétaire et financière par des mesures visant à orienter le système financier afin qu'il serve le développement de l'industrie (4). Et c'est là qu'il convient de revenir sur l'expérience française d'après 1945. Une des particularités du système bancaire français d'après-guerre fut que le Trésor et la Banque de France, qui avait été nationalisée et qui mettait en œuvre la politique du gouvernement (à travers le taux du réescompte), étaient les prêteurs les plus importants dans les années 1950. Ils jouèrent un rôle essentiel durant la décennie allant de 1948 à 1959 pour « lancer » le système et créer la confiance des acteurs privés.

Le comité a donc également annoncé d'autres mesures favorisant l'investissement pourrait être annoncées, et ceci d'autant plus que la Grande-Bretagne sera bientôt dégagée du carcan que représentent les réglementation de l'UE.

On voit, aussi, apparaître une notion d'aménagement du territoire dans cette politique industrielle. Le Ministre des finances, M. Philip Hammond a estimé que la réduction de l'écart de compétitivité entre Londres et le reste du pays que vise cette politique devrait entraîner 9% de croissance, et faire rentrer 150 milliards de livres (179 milliards d'euros) supplémentaires dans les caisses de l'état.

Les fondements d'un tournant politique

Cette politique a surpris les observateurs. Elle va à l'encontre des pronostics catastrophistes sur le Post-Brexit complaisamment répandues, et en particulier en France. La Banque Centrale (Bank of England) dans une étude datant du 20 juillet dit de manière nette:« Pour l'instant, il n'y a pas d'indication claire d'un ralentissement net et généralisé »Le marché du travail reste bien orienté, et la consommation des ménages a progressé de 1,1% en juillet, un des meilleurs résultats de ces derniers mois. Certes l'incertitude engendrée par la séparation avec l'UE peut compromettre l'investissement. Et c'est justement pour éviter cela que Mme. Theresa May a adopté cette politique volontariste. Il est aussi clair qu'elle entend, par cette politique, retrouver une dynamique perdue avant le Brexit.

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Cette politique a aussi surpris les observateurs parce qu'elle dénote d'une volonté de reconstruire une économie plus juste, qui, pour reprendre les mots de Theresa May profite à tous. Elle a placé son mandat sous l'impératif de la lutte contre la «brûlante injustice »:

« Cela signifie lutter contre l'injustice brûlante qui fait que si vous êtes né pauvre, vous allez mourir, en moyenne, neuf ans plus tôt que les autres. Si vous êtes noir, vous êtes traité plus durement par le système de justice pénale que si vous êtes blanc. Si vous êtes un garçon blanc, de la classe ouvrière, vous êtes moins susceptibles que quiconque en Grande-Bretagne d'aller à l'université. (…) Si vous êtes une femme, vous gagnerez moins qu'un homme. Si vous êtes jeune, vous trouverez qu'il est plus difficile que jamais de posséder votre propre maison.»

Ces mots auraient pu et dû être prononcé par Jeremy Corbyn, le dirigeant du parti travailliste. Le fait qu'ils aient été prononcés par un Premier ministre conservateur ne devraient pourtant pas surprendre ceux qui se souviennent de la « grande tradition » des conservateurs britanniques, une tradition en fait opposée à la politique néo-libérale de Margaret Thatcher et dont les racines renvoient à Benjamin Disraeli, l'auteur de Sybil (5), un roman social du milieu du XIXe siècle.

La souveraineté et les travaillistes

Il est donc significatif que le Brexit ait libéré une fraction des conservateurs de l'idéologie « néo-libérale ». Il faut ici revenir sur une étude réalisée par un politologue en Grande-Bretagne montre que près de 70% des circonscriptions ayant élu un député travailliste ont voté « leave » et ce alors que le parti travailliste faisait quant à lui campagne, officiellement, pour le « remain » (6). Cela illustre bien la contradiction qui existe entre l'opinion défendue par les cadres d'un parti et le ressenti du militant ou du sympathisant de base. Les électeurs travaillistes comprenaient, même confusément, qu'aucune rupture avec le néo-libéralisme n'était possible tant que la Royaume-Uni restait lié à l'Union européenne. Si Jeremy Corbyn se retrouve aujourd'hui en difficultés, il ne peut que s'en prendre à lui-même et à son manque de cohérence. C'est une leçon qui est valable pour l'ensemble de la gauche européenne.

En occupant sur le terrain économique et social les positions qu'auraient dû adopter le parti travailliste, en le faisant de plus avec la légitimité que lui donne le Brexit, Theresa May est en mesure d'occuper la totalité de l'espace politique. Elle a — peut être — réalisée un coup de maître.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.


1. Imbs, Jean, et Romain Wacziarg, "Stages of Diversification," American Economic Review, vol. 93(n°1), mars 2003, pp. 63-86. Lall, S., "Reinventing Industrial Strategy: The Role of Government Policy in Building Industrial Competitiveness," G-24 Discussion Paper No. 28, April 2004.
2. Wade, Robert, Governing the Market, Princeton University Press, Princeton, NJ, 1990.
3. Sapir J., La Démondialisation, Le Seuil, Paris, 2011.

4.Guillaumont-Jeanneney S., (1992), « La politique monétaire française pendant la présidence du général de Gaulle », in De Gaulle en son 5.Disiècle, 6.Disraeli B., Sybil, or The Two Nations, Londres, Henry Colburn, 1845.

6.Chris Hanretty, Most Labour MPs represent a constituency that voted Leave

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