Exporter du vin en Russie n’est pas chose facile, admet Sylvie Crazes, la présidente de l’Union des Grands Crus de Bordeaux. « Ce n’est pas notre faute si nos produits présentés sur le marché russe ne sont pas suffisamment diversifiés, et affichent des prix trop élevés » , a-t-elle déclaré lors des Journées françaises des vins et spiritueux à Moscou, fin octobre.
« C’est une question d’ordre administratif. Nous regrettons cette situation ». La Russie d’Aujourd’hui a essayé de comprendre pourquoi les vins de qualité français ne parviennent pas toujours jusqu’aux rayons des simples supermarchés russes.
Il y a quelques mois, le Service fédéral anti-monopole (FAS) a mené une
étude sur la composition des prix des vins importés, concluant que les
Russes payaient leurs bouteilles de vin français plusieurs fois le prix
acquitté par les Européens. Par exemple, un vin blanc sec d’Alsace dans
un commerce parisien est proposé pour 5 euros. La même bouteille figure
au menu du restaurant Chez Clément au prix de 25 euros. Mais en Russie,
sur les étagères de la chaîne d’épiceries « Azbouka Vkoussa », elle est
affichée à 37 euros… Autre exemple, le Champagne Louis Roederer Cristal
Brut, un spiritueux haut de gamme apprécié en Russie, s’y vend à 247
euros, tandis qu’en France, on le trouve en moyenne à 125 euros, soit
deux fois moins cher. Pourquoi une telle majoration ?
Les responsables russes avancent pour explication le fait que les
producteurs français ne peuvent traiter qu’avec une poignée de
distributeurs qui se partagent le marché. Selon les experts du Centre
d’étude du marché d’alcool fédéral et régional (CEMFRA), environ 80% des
vins importés passent par 15 compagnies, dont les plus importantes sont
Luding (19% du marché), Moro-import (10%), ILS (8,4%). Une conséquence,
plus qu’une cause. « En Russie, il est difficile d’obtenir une licence,
et c’est extrêmement onéreux » , explique le conseiller commercial
d’UBIFRANCE en Russie, Philippe Pegorier. « En protégeant les
producteurs locaux, les autorités russes oublient les consommateurs » .
Selon Mikhaïl Blinov, député à la Douma, les droits d’entrée de 20% sont
désormais prohibitifs. Toutes ces mesures ont un impact direct pour le
coût final du vin, réduisant la demande et la concurrence sur le
marché.
Pour remédier à cette situation, une Association des importateurs de vin
(AIV) a vu le jour récemment. « En Russie, nous avons besoin de créer
un marché du vin accessible. Il est nécessaire de modifier les
structures de consommation des boissons alcoolisées en faveur du vin » ,
explique Alexandre Pochinok, membre du Conseil de la Fédération de
Russie. En effet, aujourd’hui encore, la Russie reste associée à la
vodka, même si la population consomme principalement de la bière. La
part de la vodka dans la consommation globale des boissons alcoolisées
est de 13%, et de seulement 6% pour le vin. En revanche, elle s’élève à
80% pour la bière, et à peine 1% pour le cognac. Pourtant, une vingtaine
d’années auparavant, la consommation de vin était de 21 litres par
personnes et par an, contre 13 litres de vodka…
Il est vrai que du temps de l’URSS, la culture de la consommation de vin
était plus présente qu’aujourd’hui. Les citoyens ordinaires avaient
accès à des crus de qualité en provenance de Moldavie, de Géorgie et de
la région de Krasnodar. « De plus, il est très facile d’acheter une
bouteille de « vin » à base d’alcool pur et de sucre, sans raisins » ,
s’indigne M.Pochinok. « Ce type de vin représente au moins 25% du marché
».
Dans ce contexte, les compagnies françaises peuvent justement jouer un
rôle clé dans l’amélioration de la qualité du vin en Russie. Malgré les
interdictions et les difficultés, 99,2 millions de litres de vin ont été
importés en Russie au cours de la première moitié 2010, soit 20,8% de
plus que l’année dernière à la même époque. Avec environ 20 millions de
litres (19% des importations totales), la France représente une grosse
portion des livraisons. Selon les experts, l’abaissement des barrières
douanières permettra d’accroître la demande en vin français, et de créer
un environnement favorable à la concurrence, étape indispensable pour
le développement des produits locaux.
Gérard César, sénateur de la Gironde, nous a confié que des négociations
étaient déjà en cours avec la ministre des Finances Christine Lagarde,
afin qu’elle s’efforce de convaincre les autorités russes de la
nécessité de simplifier les procédures administratives pour les
entreprises françaises. Des produits de qualité à des prix abordables
permettront peut-être de faire de la Russie, royaume des buveurs de
bière et de vodka, un pays consommateur de vin, comme c’était encore le
cas, en réalité, il n’y a que 20 ans. Les Russes devraient pouvoir
s’offrir les meilleurs crus bordelais sans se ruiner.