Les parfums de ce monde et les odeurs de sainteté

Les parfums de ce monde et les odeurs de sainteté
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Les parfums de ce monde, peuvent-ils avoir trait aux odeurs suaves de sainteté qu’est censée exhaler l’Eglise? Oui et non. Tout dépend de l’usage que fait l’Eglise de son pouvoir, de sa conception du pouvoir d’une façon plus générale.

Les parfums de ce monde, peuvent-ils avoir trait aux odeurs suaves de sainteté qu’est censée exhaler l’Eglise ? Oui et non. Tout dépend de l’usage que fait l’Eglise de son pouvoir, de sa conception du pouvoir d’une façon plus générale. En vue d’illustrer ma pensée, je tiens à vous raconter une histoire qui pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Il s’agit d’une chronique qui s’est furtivement faufilée entre les pages copieusement garnies du quotidien NEWSru.com. Un conflit a éclaté entre les habitants du village Gat situé dans la région d’Orlov et le diocèse d’Orlov-Livensk, ce dernier ayant entamé la construction d’une église en lieu et place d’une école, dont la construction fut stoppée en 1998 jusqu’à nouvel ordre suite à la crise qui frappa alors le pays et, entre autres, la société Gazprom à l’origine du financement promis. Début septembre, c’est-à-dire il y a à peu près trois semaines de cela, le chantier passa aux mains de l’administration locale mais, derechef, le budget s’avéra déficitaire. En tout cas officiellement … C’est donc finalement le diocèse en question qui prit possession du terrain malgré un nombre considérable de protestations. Un crucifix fut installé sur les lieux, marquant le début des travaux et suscitant le désenchantement de ceux qui à la place de suaves Te Deum espéraient entendre le délicieux chahut des récrés. Mais il faut connaître un peu la population russe qui, quand elle s’insurge contre quelque chose, n’y va pas par quatre chemins. La croix qui faisait symboliquement office de fondement se retrouva jetée dans les eaux tumultueuses, profondes et presque limpides de l’Oka. Le sacrilège donna lieu à une enquête à peine lancée. Voici pour l’entrée en matière qui est aussi une mise au point riche de conséquences tacites. Primo, précisons que Gat est loin d’être un petit village avec ses 1500 habitants qui ne sont guère tous des retraités et qui ont des enfants d’âge scolaire. Or, selon la loi en vigueur, un village dont le nombre d’habitants s’élève à 1000 devrait comporter une école avec au moins 180 places disponibles (cent pour la maternelle). Secundo, le chantier devait comprendre un terrain de 4,5 hectares. On sait que ceux-ci appartiendront dès lors à l’Eglise.

Imaginons maintenant que vous, moi, n’importe quel lecteur ou témoin, dans l’impartialité la plus totale, nous nous appliquions à juger de la situation en cours. N’importe que vous soyez orthodoxe, catholique, musulman ou athée. La raison n’a pas de religion. Sur quels points nous mettrions-nous dores et déjà d’accord ? Sans doute sur le fait qu’il y a eu acte de vandalisme. Pas de sacrilège, cette dernière notion présupposant de par sa portée un acte motivé par une idéologie, une pensée ou impulsion hostiles à la religion. En l’occurrence, nous ne pouvons relever que le caractère réactionnel de l’acte commis, ce qui, bien entendu, n’exclut pas sa barbarie et la nécessité d’une sanction administrative conséquente. De même nous mettrions-nous sans nul doute d’accord sur le fait que l’Eglise a elle aussi dévié, cela dans un sens non moins grave que celui que nous venons de prêter à la vengeance de quelque (s ) villageois. Pourquoi ? Si un pays se revendique du principe de démocratie et que l’Eglise se veut loyale à ses intentions, si le terme démocratie se comprend au sens étymologique, originel et donc exact de son acception, les habitants de Gat était bel et bien dans leur droit de se révolter. Pas de la manière qu’ils ont choisie pour une certaine minorité, mais d’une autre, certainement plus civilisée. Le diocèse d’Orlov-Livensk étant l’une des nombreuses hypostases de l’Eglise russe, celle-ci s’est discréditée en décrédibilisant des positions normalement humanistes. Je crois en revanche qu’elle aurait gagné plus de points qu’elle ne pourrait se l’imaginer en finançant la construction de l’école. Car, me semble-t-il, elle a plus que jamais besoin de se rattraper après les histoires retentissantes de l’année en cours, pour beaucoup, je l’avoue, exagérées, mais qui néanmoins sont loin d’avoir auréolé une réputation jusque là passablement honorable. Personnellement, je tiens de tout cœur à ce qu’elle retrouve la bienveillance confiante que lui accordaient ses Fidèles du temps du patriarche Alexis II. Autre aspect, celui-ci découlant d’une logique de fer : suite au scandale provoqué par l’interdiction de construire une mosquée dans le quartier moscovite de Mitino, interdiction liée à la pétition anti-mosquée qui avait été signée par les habitants, les autorités se sont saignées aux quatre veines pour expliquer que cette mesure n’était pas dirigée contre les musulmans, mais procédait du souci de respecter la Constitution coûte que coûte, donc, de respecter la volonté de la majorité, même restreinte à un seul quartier dortoir. Peut-on, notamment dans le contexte d’un pays pluriconfessionnel, se permettre le principe du deux poids deux mesures ? Que nenni ! Or, faisant fi des contestations exprimées par les villageois, l’Eglise remet indirectement en cause la décision adoptée par rapport au cas Mitino.

Autre actualité sur, au fond, le même sujet, qui défraye la chronique de ces derniers jours : l’adoption d’un projet de loi relatif à une poursuite en justice pour insultes aux sentiments des croyants. Louche projet, à vrai dire, si l’on ne sort pas de l’optique laïque dans laquelle on devrait se trouver parlant d’un pays tel que la Russie. Rappelons que la laïcité a deux niveaux d’interprétation. Le premier est celui qui définit l’irréprochable neutralité de l’Etat en tant qu’entité étrangère à toute philosophie. Il n’y a aucune prise de position morale à ce niveau-là. La laïcité individuelle est différente. Elle peut être celle de l’athée pur respectueux des autres confessions, celui du croyant non moins respectueux des convictions d’autrui. A noter que l’athéisme militant pose maintes fois plus de problèmes dans la mesure où il passe outre au principe de tolérance. Partant de cette différenciation cartésienne par excellence, il m’apparaît évident que toute insulte portée à la foi équivaut à n’importe quelle autre insulte portée à la dignité humaine. Dans tous les pays européens, Russie y compris, il existe des lois clairement formulées et suffisamment nuancées visant à punir qui le mérite. Etant sain d’esprit et se réclamant d’un laïcisme fidèle à sa définition, on ne saurait extraire cette catégorie morale qu’est la foi de son champ individuel pour en disséminer les semences sur le terrain sec et objectif du droit commun. Mais il y a plus : le supra-contexte du texte de loi servira de panacée universelle à n’importe quel sujet de n’importe quelle confession ruminant l’intention malsaine de se venger sur qui que ce soit ou d’aggraver à dessein les tensions interconfessionnelles qui se manifestent parfois. Idem pour l’exemple précédemment mentionné sur le cas Mitino : il se trouvera peut-être bien des musulmans se considérant lésés dans leurs sentiments et tentés de recourir à cet argument ambulant traversé d’abstractions pseudo-juridiques fantaisistes que l’Etat est sur le point de lui offrir. Joli cadeau dont profiteront les pires extrémistes et dont de simples Fidèles ne se serviront que les jours de grandes fêtes … ou de vexations insurmontables que moi, étant chrétienne résidant à Moscou depuis près de dix ans, n’ai pas eu jusqu’à présent le malheur de subir ! Quant à l’affaire des Pussy Riot dont le sacrilège nauséabond est par contre incontestable, les lois actuelles sont déjà bien taillées à la mesure du cas par cas sous toutes ses nuances, si bien que je trouve inutile, voire dangereux d’adopter une loi entremêlant maladroitement le domaine de la morale personnelle et du droit dans sa neutralité.

Comme disait Sénèque, toute vertu est fondée sur la mesure. Le pouvoir est lui aussi une vertu qui est tant de ce monde que de l’autre. Pourvu que l’Eglise arrive à trouver cet équilibre qui est gage de son succès dans un monde de plus en plus rationnel et, ipso facto, critique !

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