«Nous avons surestimé l’arrivée des véhicules autonomes […] parce que le problème est vraiment complexe», déclarait Jim Hackett, président de Ford et ancien responsable du département véhicules autonomes, le 19 novembre 2019, lors du Detroit Economic Club.
Le véhicule qui se pilote tout seul, l’«autonomobile» laissant ses passagers répondre tranquillement à leurs messages ou regarder une vidéo le temps du trajet, va donc rester encore un certain temps un cliché pour film de science-fiction.
Pour aller au-delà du miroir aux alouettes qu’agitent encore certains constructeurs, il faut bien s’entendre sur le terme de véhicule autonome. Et pour cela, il est préférable de se fonder sur l’échelle à six niveaux fournie par la SAE (Société des Ingénieurs de l’Automobile) et l’OICA (Organisation Internationale des Constructeurs Automobiles) qui ont produit un tableau d’évolution de la «délégation de conduite», le terme officiel pour le processus d’autonomisation.
L’étape cinq, l’ultime étape, doit être celle qui consacre un moyen de déplacement pouvant se mouvoir en toutes circonstances (le pluriel est nécessaire au regard de la multitude des situations potentielles) et sans intervention humaine de dernière instance, en clair, éviter que le passager soit obligé de freiner ou de tourner le volant.Seulement, il y a loin de la coupe aux lèvres et nous sortons, à l’orée de 2020, de l’enthousiasme parfois béat sur cette thématique, même si certaines marques en mal de marketing persistent à présenter leurs véhicules comme «autonomes». Un raccourci contestable, puisque la délégation de conduite demeure à ce jour uniquement partielle. Elle peut atteindre la phase trois pour quelques heureux élus, à force de capteurs, radars et caméras embarqués: le véhicule peut se charger, sous certaines conditions, d’une partie des opérations de conduite, comme de conserver automatiquement les distances de sécurité sur autoroute.
La quatrième est pour l’heure fortement compromise dans un avenir proche: pas question donc de voir à brève échéance une voiture en pilotage totalement autonome sur autoroute.
Il convient de préciser à ce stade qu’un véhicule connecté n’est qu’un élément des futures automobiles 3.0, lesquelles sont effectivement connectées (en V2X, c’est-à-dire en simultané avec un ensemble de repères fixes et mobiles), cumulativement avec la délégation de conduite (partielle ou totale) et dotées d’une motorisation à empreinte écologique réduite (électrique principalement, mais sans exclusion d’autres possibilités tout aussi pertinentes). La connexion est l’un des trois piliers du transport du futur, notamment indispensable pour permettre de recueillir un maximum d’informations, de préférence en temps réel. Volvo vient par exemple de franchir le cap du million de véhicules connectés (camions, bus, automobiles, autocars) lui permettant d’alimenter ses bases de données, utiles tant pour fluidifier les flux logistiques, mais aussi pour prévenir ou intervenir lors d’incidents, voire d’accidents.
Or, si l’on peut pousser encore plus loin les éléments de connexion (comme le fait à l’envie le département marketing de certains groupes) ainsi que les évolutions sur les motorisations modernes (y compris à combustion interne), l’évolution de la délégation de conduite semble inversement de plus en plus ardue, au point de ne plus être la priorité de certains constructeurs. Par exemple, la récente citadine Honda E est un modèle néo-rétro électrique et connecté, mais non autonome, bien que disposant d’assistances de conduite; mais une fois encore, assistance n’est pas autonomie.En outre, l’excès de connectivité induit des complications en cascade qui peuvent retarder la mise en circulation de certains modèles, comme chez Volkswagen avec le report de la Golf VIII: plus les systèmes embarqués sont complexes et denses, plus il devient délicat tant de les interconnecter que de les protéger.
L’avènement du véhicule autonome réclame la synergie de plusieurs corps de métier, accompagnée d’investissements très lourds, de même que l’adoption d’un protocole de communication performant. Et sur ce dernier point, on songe bien entendu à la 5G que l’Union européenne a préféré au Wifi en juillet 2019: ce choix va par conséquent retarder en toute logique l’avènement du véhicule autonome, puisque le déploiement de ladite technologie est en cours et mettra plusieurs années à s’étendre sur une majorité du territoire européen. Accessoirement, l’un des grands gagnants de ce choix est Qualcomm, équipementier d’origine américaine: un étrange choix pour un secteur aussi stratégique que celui-ci, qui devrait imposer un acteur européen.
L’autre frein, non négligeable, est la survenance de plusieurs accidents mortels médiatisés (cas d’Uber en Arizona ou de Tesla en Californie), et ce alors que les usagers de la voirie s’attendent justement à l’éradication de toute mortalité routière avec l’avènement de cette révolution promise… et survendue, comme l’a admis le président de Ford.
Il est acquis que les expérimentations vont se poursuivre, sur des axes sécurisés, relativement simples à gérer en matière de flux de circulation, mais que les prochaines bornes du véhicule autonome seront de plus en plus inaccessibles pour des acteurs esseulés, tant la recherche nécessite un budget exponentiel pour un retour sur investissement plus qu’hypothétique.
Un retour au réalisme est donc de mise, comme l’a formulé Carlos Tavares, président du groupe Peugeot, lors du salon automobile de Genève 2019, en annonçant l’arrêt de tout développement de véhicule de niveau quatre et supérieur. Autre -mauvais- signe des temps: la banque Morgan Stanley a en octobre 2019 dévalorisé de 40% la filiale mobilité autonome d’Alphabet, Waymo (appelée aussi Google Car), en admettant que son exploitation commerciale serait bien plus longue et compliquée qu’elle n’avait été envisagée ces dernières années.
Au final, ne peut-on pas conjecturer que le report de l’autonomobile est aussi la préservation d’une certaine idée de l’automobile où l’on parviendrait à trouver l’équilibre entre assistance et plaisir de conduite?
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