Condamnation et récidive: si la prison n’a plus «son rôle de réinsertion», elle ne «sert à rien»

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Une prison - Sputnik Afrique, 1920, 30.07.2021
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Plus les personnes incarcérées sont jeunes, ont un faible niveau d’études et comptent des condamnations, plus elles sont susceptibles de récidiver, d’après une étude menée pour le ministère de la Justice. Le signe pour Julia Courvoisier, avocate pénaliste, de l’échec des autorités publiques à sortir ces individus de la délinquance.

Près d’un tiers (31%) des individus sortis de prison en 2016 ont à nouveau été condamnés pour une infraction commise l'année suivant leur libération. Tel est le constat de l'étude réalisée par le service statistique du ministère de la Justice. Elle porte sur 41.500 personnes majeures condamnées et incarcérées, qui sont sorties d'établissements pénitentiaires de France métropolitaine et d'outre-mer en 2016.

Selon les données recueillies, la moitié de ces détenus avaient moins de 30 ans avant leur entrée en détention, près des deux tiers possédaient un faible niveau d'études. Fait frappant: 86% d'entre eux avaient déjà été condamnés par le passé. Des résultats qui n’étonnent guère maître Julia Courvoisier, avocate pénaliste au barreau de Paris:

«Si certains peuvent dire que la prison “crée des délinquants”, une chose est certaine, elle a un rôle de sanction mais n’a plus son rôle de réinsertion.»

Néanmoins, si certains condamnés récidivent, ne faudrait-il pas y voir les conséquences d’un possible «laxisme judiciaire» dénoncé par une partie de la classe politique, ou encore des sanctions qui ne feraient plus peur? Rien n’est moins sûr, selon l’avocate pénaliste. Ainsi Me Courvoisier pointe-t-elle le manque de prise en charge, notamment pour les détenus qui effectuent de courtes peines.

«En matière criminelle, au-delà du fait que les peines sont plus longues, la prise en charge en prison est très différente, notamment, et surtout, pour les auteurs d’agressions sexuelles. Ils sont pris en charge de manière différente sur le plan psychologique et psychiatrique. Il y a donc un suivi qui est beaucoup plus individualisé.»

Et cela se ressent sur les taux de récidive qui varient selon l'infraction initiale: les auteurs de vols simples (43%) ou de vols aggravés sans violence (39%) sont les plus susceptibles d'être à nouveau condamnés, alors que les auteurs de violences sexuelles récidivent peu à court terme (12%), tout comme les auteurs d'homicide (9%).

Une surpopulation carcérale aux effets délétères

La surpopulation carcérale aurait également un impact tangible sur la réinsertion, selon elle.

​Au 1er juillet, la densité carcérale était de 112,5% dans les 188 établissements pénitentiaires. Elle s’affichait à 132,2% dans les maisons d’arrêt, où sont incarcérés notamment les détenus condamnés à de courtes peines et ceux en attente de jugement. Soit une augmentation de 20 points par rapport au 1er juillet 2020. Certaines maisons d’arrêt, à l’image de celle située à Tarbes, explosent les records avec une occupation de 198,5%!

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Dès lors, s’il y a un peu d’activité professionnelle ou des places pour des formations, les établissements procèdent à une sélection. «C’est restreint à ceux qui effectuent des longues peines, à des détenus particuliers, à des détenus aussi qui le “méritent”», précise l’avocate.

Pourtant, avoir un travail en prison réduirait «légèrement le risque de commettre une nouvelle infraction, de 1,8 point», selon la chancellerie. Qui plus est, la tendance est à la raréfaction de l’emploi en milieu carcéral. En 2018, en moyenne 19.284 personnes disposaient d’un poste en détention sur plus de 70.000 prisonniers. De 46,2% en 2000, ce taux est passé à 28% aujourd’hui, rappelle l’Observatoire international des prisons.

Faute d’emploi, la tentation de reprendre une activité illicite

Par ailleurs, le temps passé derrière les barreaux pourrait servir aux études, par exemple. Bon nombre de détenus n’ont pas accès à la scolarité ou à des formations. Un besoin capital en vue d’obtenir un emploi. Ainsi, près 91% d’entre eux ont un niveau inférieur au bac, selon le bilan 2018-2019 de l’enseignement en milieu pénitentiaire. Pis, 53,4% n’ont aucun diplôme, lorsque 11% environ sont en situation d’illettrisme (contre 7% dans la population générale). «Donc cette peine permet de protéger la société parce que la personne est incarcérée mais en matière de réinsertion, cela n’a aucune conséquence. Cela ne sert strictement à rien», résume Me Courvoisier.

Et une fois dehors, dans le cas où ils n’auraient pas de famille ou ne seraient pas suivis par des associations comme Emmaüs, l’avocate rappelle qu’ils sont livrés à eux-mêmes.

«Vous avez vite besoin d’argent pour acheter à manger, un titre de transport, louer un appartement. Si vous ne trouvez pas de boulot malheureusement, la facilité c’est de recommencer parce que c’est ce que vous savez faire. Ça ne pardonne pas, ça n’excuse rien mais ça explique», détaille Me Courvoisier.

Selon l’enquête, 5% de la population étudiée a récidivé dans les 30 jours qui ont suivi leur élargissement et 20% dans les six mois. Ils ont d’ailleurs été condamnés à 79% à une nouvelle peine d'emprisonnement ferme. Alors, comment réduire ce taux?

​Pour Me Courvoisier, la création de nouvelles prisons pourrait régler le problème de la surpopulation carcérale. Une promesse d’Emmanuel Macron qui avait expliqué vouloir construire 15.000 places de prison supplémentaires durant son quinquennat. Une autre solution: incarcérer moins, en prononçant des peines alternatives.

D’après une étude menée par ministère de la Justice en 2014, le taux de récidive après une peine de prison était de 61%, contre 34% pour une peine de travaux intérêt général, 32 % pour une peine avec sursis mise à l’épreuve, ou encore 23 % avec un placement sous surveillance électronique.

Reste que politiquement, cette solution ne devrait pas enchanter les Français. Et pour cause, les alternatives à l’emprisonnement sont de moins en moins populaires: en 2018, seulement 47% d’entre eux souhaitaient diminuer le nombre de personnes en détention provisoire, contre 64% en 2000, soulignait une étude menée par la Fondation Jean-Jaurès.

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