Contre son gré, Washington a-t-il adoubé le gouvernement taliban?

© REUTERS / CARLOS BARRIALe président des États-Unis, Joe Biden, prononce un discours
Le président des États-Unis, Joe Biden, prononce un discours - Sputnik Afrique, 1920, 11.10.2021
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Pour la première fois depuis le départ des troupes US d’Afghanistan, des officiels talibans* et américains se sont affichés publiquement ensemble à Doha. Le chercheur Roland Lombardi tire le bilan de cette rencontre pour Sputnik.
"Il s’agit clairement d’une forme de légitimation américaine du pouvoir taliban."
Roland Lombardi, historien et analyste des problématiques géopolitiques liées au Moyen-Orient, tire l’enseignement principal de la rencontre à Doha des 9 et 10 octobre entre des représentants américains et talibans*. Ned Price, porte-parole du Département d’État, a précisé que les discussions avaient porté "sur les problèmes de sécurité, de terrorisme et sur la sécurité de voyage des citoyens américains, des autres ressortissants étrangers et de nos partenaires afghans". "La participation des femmes et des filles à tous les niveaux de la société afghane" a été aussi évoquée. Mais le résultat le plus palpable de la rencontre reste la décision d’envoyer de l’aide humanitaire américaine à l’Afghanistan, un geste salué par les talibans*.
"Cette rencontre, c’est surtout un effort de Washington qui cherche un moyen d’avoir des garanties sur le fait que l’Afghanistan ne soit plus une base pour des groupes terroristes comme Daech* ou Al-Qaïda*, qui attaquent les intérêts américains dans la région ou ailleurs", analyse Roland Lombardi.
Et ce alors que les maîtres de Kaboul ne font que de très rares gestes envers Washington, si ce n’est d’autoriser les filles à aller à l’école au moins jusqu’à douze ans, et d’autoriser au compte-goutte l’accès à l’aide humanitaire.

"Ces discussions sont mal vues dans l’opinion publique américaine"

Au contraire, les talibans* semblent se sentir libres de faire ce qu’ils considèrent comme nécessaire. En témoigne la composition du nouveau gouvernement afghan, loin d’être "inclusif", comme le souhaitaient les diplomaties américaine et française, mais qui comprend d’anciens pensionnaires de Guantanamo.
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Si les États-Unis sont prêts à alimenter ce processus de légitimation des talibans* par leur présence à Doha, c’est contraints par les circonstances. Pour le moment, "les talibans*, Al-Qaïda* et Daech* sont en rivalité", poursuit l’auteur de Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabe et au Moyen-Orient(VA Éditions, 2020). Daech* constitue à ce jour la principale épine dans le pied des talibans, les harcelant à la moindre occasion. Vendredi 8 octobre, un attentat suicide à Kunduz, revendiqué par cette organisation terroriste, a fait au moins 55 morts et plus d’une centaine de blessés.

"L’humanitaire, c’est pour la galerie"

Un mal pour un bien, les talibans* peuvent toutefois se prévaloir de la menace terroriste pour amener Washington à la table des négociations. En effet, depuis leur ascension au pouvoir, après vingt ans de lutte contre les États-Unis, "étudiants en religion" cherchent une forme de reconnaissance internationale.
De son côté, Washington est obligé de faire preuve de réalisme pour préserver ses intérêts internationaux. Quitte à mécontenter son opinion publique:
"Ces discussions sont mal vues dans l’opinion publique américaine. D’autant que l’on vient de commémorer les attentats du 11 septembre et que l’on sait que ces derniers ont été commandités depuis l’Afghanistan", rappelle Roland Lombardi.
C’est d’ailleurs "pour cela que l’Administration Biden met autant en avant l’humanitaire et les Droits de l’Homme" de cette rencontre, poursuit le géopolitologue. Selon lui, l’Administration Démocrate joue de la crise humanitaire afghane pour enrober la réelle raison de ces discussions.
"Les questions humanitaires, c’est pour la galerie. C’est assez cynique, mais la préoccupation première de Washington est d’avoir un droit de regard sur les relations des talibans* avec d’éventuels groupes qui pourraient attenter aux intérêts américains", estime l’historien.
Pour Kaboul, la question de l’aide est pourtant centrale. En effet, depuis la prise du pouvoir par les talibans*, l’Afghanistan connait une grave crise économique. L’Onu met en garde contre une potentielle famine d’envergure.
En cause, le gel immédiat de tous les avoirs du pays et des aides internationales qui maintiennent le pays sous perfusion. Ce sont près de 9,5 milliards de dollars (8,2 milliards d’euros) appartenant à la Banque centrale afghane qui sont aujourd’hui gelés par Washington. Les talibans* ont donc besoin des États-Unis et réciproquement. Au risque que chacun serve les intérêts du camp opposé.
*Organisations terroristes interdites en Russie.
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