Marthe Tadié, 32 ans, n’a pas pu dire un dernier adieu à son père décédé le 18 avril des suites du Covid-19. En déplacement en dehors de Douala, capitale économique du Cameroun, pour des raisons professionnelles pendant la courte hospitalisation de son père, elle reviendra bien trop tard. Quelques heures auront suffit pour inhumer le défunt dans un cimetière de la ville. Une nouvelle difficile à digérer pour celle qui ignorait jusque-là le protocole en vigueur. Depuis, Marthe T a toujours du mal à accepter cette dure réalité.
«J’ai encore très mal à y repenser. J’aurais voulu voir mon père une dernière fois. J’aurais voulu dire au revoir, mais hélas... Les médecins m’ont expliqué que c’est pour éviter les contaminations, mais la douleur est là», confie-t-elle à Sputnik.
«Les enterrements de corps doivent se faire de façon rapide parce qu’il y’a une présomption de contamination post-mortem. En effet, lorsque quelqu’un décède du Covid-19, il y a de fortes chances que les autres soient contaminés par son corps, même inerte», renseigne l’épidémiologiste au micro de Sputnik.
Une pilule difficile à avaler pour de nombreuses familles camerounaises. Comme Marthe Tadié, plusieurs vivent encore sous le choc de cet épisode douloureux. Loin des cultes et cérémonies généralement dédiés aux morts, et des enterrements organisés plusieurs semaines après le décès dans des caveaux familiaux, les proches endeuillés par la pandémie doivent désormais se contenter d’une inhumation à la hâte, dans le cimetière le plus proche. Ces dernières semaines, des images en circulation sur les réseaux sociaux ont souvent montré des familles en colère prêtes à tout pour arracher le corps des leurs dans des hôpitaux, dans l’optique de les soustraire au protocole en vigueur.
Entre sciences et traditions
«Je ne suis pas sûr qu’il soit mort de cette maladie. Mais on nous a dit qu’il fallait l’enterrer. On n’avait pas le choix», regrette-t-il.
La peur de l’hôpital
Si la situation est aussi compliquée à vivre, c’est qu’en Afrique, et au Cameroun en particulier, les cérémonies funèbres revêtent un caractère sacré en ce qu’elles font partie des cultures et traditions locales. Très attachées aux rites et coutumes, de nombreuses familles, bien que conscientes des risques de contamination dues à la manipulation des corps, acceptent difficilement ces inhumations rapides. Pour le Dr Marcel Nkouandou, socio-anthropologue et enseignant à l'université de Douala, cette difficile acceptation est inhérente à la conception de la mort dans les cultures locales, car «en négro-culture les morts ne sont pas morts. Tous les rituels funèbres et funéraires assurent une certaine cohésion entre le défunt et sa famille».
«On sait toujours qu'il y a un pays de l'au-delà où résident les ancêtres. Ces derniers étant les intermédiaires entre les vivants et Dieu d'après la cosmogonie africaine. Imaginez ce que peuvent ressentir certaines familles quand on leurs retire leur corps. Enterrer à la hâte serait interpréter comme une façon de bafouer une dignité humaine», explique le spécialiste à Sputnik.
«Beaucoup de familles pensent être victimes d'une dictature thérapeutique et multiplient des itinéraires thérapeutiques douteux. Tout le système de santé est complètement touché; toutes les croyances, les perceptions et les pratiques autour de la question sanitaire ont pris un coup», poursuit le socio-anthropologue.
Et à en juger par la courbe des contaminations en hausse au Cameroun et les décès quasi-quotidiens, les tensions sont loin d’être terminées. Avec plus de 6.500 cas enregistrés et plus de 200 décès au 04 mai, le Cameroun est à ce jour l’un des États de l’Afrique subsaharienne les plus touchés par la pandémie de Covid-19. Alors que la maladie continue de dicter sa loi avec toujours plus de nouveaux cas chaque jour, Yaoundé a autorisé le retour à l’école pour certaines classes à compter du 1er juin. Et ce, malgré les avertissements des experts qui prévoient le pic courant juin.