Réforme de Schengen: pour Patrick Stéfanini, «il y a encore des trous dans la raquette»

© AFP 2023 GUILLAUME HORCAJUELOEmmanuel Macron Schengen
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Dans une note envoyée aux capitales européennes, Paris a formulé plusieurs propositions concrètes afin de renforcer la sécurité au sein de l’espace Schengen. Suffisant pour convaincre? Réponse avec Patrick Stéfanini, ex-secrétaire général du ministère de l’Immigration de Nicolas Sarkozy.

Emmanuel Macron veut une réforme de l’espace Schengen. Alors que le Président de la République doit dévoiler dans une dizaine de jours ses propositions pour renforcer la sécurité au sein de cet espace, les contours de cette refonte commencent à se dessiner.

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La France propose de sanctionner les pays de l’espace Schengen qui gèreront mal leurs frontières
Une note de la France adressée à ses partenaires européens donne un aperçu de ce qui se prépare en coulisses. Révélée par Europe 1 le 1er décembre, celle-ci indique que l’Élysée souhaiterait notamment la création d’un «Conseil de sécurité intérieure» afin de s’assurer du contrôle des frontières communes.

Des mesures qui iraient plutôt dans le bon sens, selon Patrick Stéfanini, ancien secrétaire général du ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale de Nicolas Sarkozy et auteur de l’essai Immigration: ces vérités qu’on nous cache (Éd. Robert Laffont). Toutefois, celui-ci enjoint chaque État membre à «assumer ses responsabilités» afin de «faire respecter les frontières extérieures» de l’Union européenne.  

Sputnik: «Pacte de sécurité», renforcement de la coordination entre les pays signataires, possibles sanctions pour ceux qui gèreraient mal leurs frontières: les mesures proposées par la France en vue de la réforme de Schengen vont-elles dans le bon sens, d’après vous?

Patrick Stéfanini: «L’Europe doit mieux contrôler ses frontières extérieures. Le périple de l’auteur de l’attentat de Nice l’a encore récemment prouvé. Débarqué à Lampedusa, les autorités italiennes l’ont ensuite laissé pénétrer en Italie continentale. De là, il est remis en liberté avec pour seule injonction de quitter le territoire européen dans un délai d’un mois, ce qu’il ne fera pas pour commettre en France son horrible forfait.

«600 millions de passagers traversent chaque année les frontières de l’UE»

Chaque année, les pays membres sont d’ailleurs évalués par l’Union européenne et par Frontex [agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes chargée de protéger les frontières extérieures et intérieures de l’UE, ndlr] du point de vue de la qualité du contrôle qu’ils effectuent lors du franchissement des frontières extérieures. Certes, l’UE intervient, mais c’est chaque État membre qui est responsable du contrôle de ses frontières extérieures. Pour la France, cela concerne ses aéroports et ses frontières maritimes.

Sur les 600 millions de passagers qui traversent chaque année les frontières de l’Union européenne, il y en a pratiquement 20% qui ne font l’objet d’aucun “passage-fichier”, c’est-à-dire qu’à l’occasion de leur passage des frontières, on n’interroge pas le fichier dit “SIS”, pour “Système d’information Schengen”, qui comporte la liste de toutes les personnes indésirables en Europe. Naturellement, ces évaluations sont secrètes et confidentielles: elles révèlent sans doute que la qualité des contrôles est très inégale selon les pays. C’est donc une bonne chose que les ministres européens soient saisis de ces résultats avec une périodicité régulière, et ce afin de prendre les dispositions nécessaires pour mieux contrôler leurs frontières extérieures.»

© AFP 2023 MARTIN BUREAUPatrick Stéfanini, ancien secrétaire général du ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale de Nicolas Sarkozy
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Patrick Stéfanini, ancien secrétaire général du ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale de Nicolas Sarkozy

Sputnik: Vous parlez dans votre livre du «péché originel» dans la construction européenne en matière d’immigration. Est-ce à dire que le ver était dans le fruit dès 1985 avec la signature de l’accord de Schengen?

Patrick Stéfanini: «Non, car le principe de Schengen est bon. Seulement, pour réaliser effectivement la libre circulation décidée par l’Acte unique de 1986, on a supprimé les contrôles des frontières intérieures dans l’Union européenne à partir de 1992. Les mesures de contrôle aux frontières extérieures et la construction du fichier SIS ont supposé une mise en commun d’informations par les États membres, ce qui a pris un temps considérable. Plusieurs fichiers vont d’ailleurs venir compléter le fichier SIS à partir de 2023 ou 2024. Il y a donc un décalage immense! Entre le moment où on a décidé la libre circulation et le moment où on pourra mettre en œuvre toutes les mesures de protection aux frontières extérieures de l’Europe, il se sera écoulé plus de quinze ans, bientôt vingt.

«On aurait dû ne réaliser la libre circulation qu’après avoir prévu toutes les mesures de contrôle aux frontières extérieures»

D’une certaine façon, on peut dire qu’on a mis la charrue avant les bœufs. On aurait dû ne réaliser la libre circulation qu’après avoir prévu toutes les mesures de contrôle aux frontières extérieures. Malheureusement, il y avait une pression politique très forte pour réaliser cette libre circulation à l’époque: il fallait alors donner une âme et du corps à l’Union européenne pour éviter qu’elle ne soit qu’une union économique et monétaire. On rattrape aujourd’hui ce retard, mais il y a encore beaucoup de trous dans la raquette: les événements des dernières semaines l’ont montré de manière dramatique.»

Sputnik: Faut-il aligner la politique migratoire sur la gestion de la zone euro, avec la création d’un Eurogroupe spécifiquement dédié aux flux migratoires, comme le laisse entendre la note de la France adressée à ses partenaires européens?

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Patrick Stéfanini: «C’est de l’architecture institutionnelle. Dans l’absolu, il faut bien sûr que les ministres de l’Intérieur des pays européens puissent se réunir très régulièrement. Il faut notamment pouvoir repérer les pays en difficulté dans la gestion de leurs frontières, et prendre des mesures le cas échéant. On sait pertinemment que l’Italie, la Grèce ou encore Malte sont très exposées sur leurs frontières maritimes et subissent une pression considérable. C’est la raison pour laquelle ils ont été tentés par le passé, faute d’aide, de laisser pénétrer des gens qui n’auraient jamais dû rentrer dans l’espace européen.»

Sputnik: Certains pays pourraient être sanctionnés en cas de «manquements répétés» dans la gestion de leurs frontières, jusqu’à une éventuelle «suspension» d’un pays fautif. Cette menace de mesures plus coercitives peut-elle être efficace?

Patrick Stéfanini: «Il vaut toujours mieux convaincre que contraindre. Les pays concernés (l’Italie, l’Espagne, la Grèce) connaissent déjà leurs difficultés, il est inutile de leur infliger des sanctions supplémentaires. Tout cela n’a pas beaucoup de sens. Quand la Grèce a été totalement débordée par l’afflux des réfugiés en provenance de Turquie en 2015 et 2016, certains pays estimaient que la Grèce ne traitait pas bien les demandeurs d’asile et voulaient donc la suspendre de Schengen. Cela ne s’est évidemment jamais fait.

«Il faut par-dessus tout que chaque État membre assume ses responsabilités»

Pour aider ces pays qui subissent des pressions migratoires, il faut déployer des effectifs de policiers et de gendarmes plus importants. Comment expliquer que la France déploie des effectifs de forces de l’ordre considérables pour empêcher des migrants de rejoindre la Grande-Bretagne alors que celle-ci est en train de quitter l’Union européenne? Ne serait-il pas plus utile d’utiliser ces moyens au service des pays qui sont restés dans l’UE, comme l’Italie et la Grèce?»

Sputnik: Le doublement des forces de contrôles à l’entrée des frontières françaises, annoncé par Emmanuel Macron à la frontière espagnole au début du mois de novembre, irait donc plutôt dans le bon sens?

Patrick Stéfanini: «N’oublions pas que l’Espagne est pour la France une frontière interne [à l’espace Schengen, ndlr]. Or, la priorité, c’est la frontière extérieure. Quand un immigré entre dans l’Union européenne, c’est ensuite extrêmement difficile de le reconduire à la frontière de son pays d’origine. L’objectif premier, sans lequel on construit sur du sable, c’est de rendre plus hermétique la frontière extérieure de l’Union européenne. La France doit bien sûr coopérer avec l’Italie et l’Espagne, car ces deux pays voisins ont des difficultés à le faire. Mais il faut par-dessus tout que chaque État membre assume ses responsabilités. L’Union européenne a beaucoup progressé, notamment en termes de mise en commun de fichiers, mais il reste encore beaucoup de travail à faire.»

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