Troubles en vue: les États-Unis vont «essayer à tout prix de maintenir leur domination»

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Quelles sont les conséquences de la remise en cause de la suprématie américaine? Selon Michel Geoffroy, auteur de «La nouvelle guerre des mondes», il s’agirait d’une Quatrième Guerre mondiale. Sputnik l’a interrogé.

Changement de régime, embargo économique, extraterritorialité du droit américain: les États-Unis usent avec agressivité de tous les leviers, que cela soit au Venezuela, en Iran, à Cuba, en Russie et même auprès de leurs alliés européens. Pourtant, selon l’essayiste Michel Geoffroy, ceux-ci «ne peuvent pas gagner» à long terme face à la montée en puissance de la Chine, de la Russie et de l’Inde.

Michel Geoffroy n’est pas tendre avec les États-Unis, qu’il perçoit comme une source de chaos généralisé et d’arbitraire messianique. Il est l’auteur de La nouvelle guerre des mondes (Ed. Via Romana, 2020), qui décrit un scénario de «Quatrième Guerre mondiale», un nouveau choc des civilisations entre l’Occident en déclin face au reste du monde. Sputnik l’a interrogé.

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De l’hyperpuissance au monde multipolaire

Pour l’ancien haut fonctionnaire, le monde est entré dans une quatrième guerre mondiale, la guerre froide ayant été la troisième. Il souligne le laps de temps très court à l’échelle de l’Histoire durant lequel Washington s’est investi de ce rôle d’hyperpuissance, capable d’imposer son ordre international, selon le mot d’Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères.

«Cette période de l’hyperpuissance s’est arrêtée en 2001, avec les attentats du 11 septembre qui ont montré l’extrême fragilité du système américain. Et surtout que d’autres [puissances, ndlr] étaient en train d’émerger et de contester la prétention occidentale à dominer le monde.»

Durant de longues années, les Occidentaux ont «régné sur le monde parce qu’ils ont cumulé un certain nombre d’avantages stratégiques déterminants», qu’ils soient économiques, militaires, démographiques, scientifiques et même moraux. Des avantages en passe de disparaître, selon Michel Geoffroy.

Primo, ils avaient ce qu’il appelle le «monopole de la force», c’est-à-dire le militaire, le spatial, où Chinois comme Russes sont désormais largement compétitifs. Deuxio, le «monopole du savoir», car les «systèmes d’enseignement s’effondrent dans les pays occidentaux», on le constate chaque année dans le fameux classement Pisa. Tertio, il évoque la démographie qui stagne, voire qui vieillit en Europe et en Amérique du Nord. Et enfin, le facteur économique. Certes, les États-Unis demeurent la première puissance économique mondiale… mais pour combien de temps? Touché de plein fouet par la pandémie, le PIB chinois a tout de même augmenté de 3,2% au deuxième trimestre. Celui des États-Unis s’est écroulé de 32,9%. À l’heure du coronavirus, il semblerait ainsi que le rapport de force géopolitique entre l’Occident et les puissances émergentes se soit rééquilibré.

«Quand j’étais jeune, on faisait des quêtes encore dans les années 60 pour venir en aide aux petits Chinois qui mouraient de faim. Aujourd’hui, c’est la Chine qui nous envoie le matériel médical que nous n’avons pas.»

Citant tour à tour les grands penseurs américains de Fukuyama à Brezinski, Michel Geoffroy estime que les États-Unis vont «essayer à tout prix de maintenir leur domination».

Comment Washington réagit-il?

L’attitude peu diplomate de Donald Trump envers la Chine durant les négociations commerciales puis la crise sanitaire illustrent ce bras de fer, voire cette «Quatrième Guerre mondiale», comme le pense Geoffroy. Pour le moment, la guerre froide prédomine autour d’affrontements géoéconomiques et d’une course pour les ressources naturelles, mais elle pourrait se transformer en une guerre chaude, comme le prévoit le scénario belliqueux du «Piège de Thucydide». Sous ce concept, le professeur de Harvard Graham Allison désignait le déclenchement d’un conflit par la puissance dominante, apeurée par une puissance émergente. Une approche contre-intuitive: c’est davantage la puissance établie qui pousserait au conflit, que sa rivale qui serait mue par ses ambitions.

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L’Amérique apparaît d’ailleurs à bien des égards paranoïaque puisque ses mesures les plus sévères ne sont pas seulement réservées à son principal rival géopolitique, mais à tous les États qui ne souhaitent pas s’aligner:

«Les États-Unis continuent de pratiquer le ‘regime change’. Regardez leur politique de sanctions économiques qui touchent un nombre considérable d’États, qui impactent leurs prétendus alliés européens victimes de sanctions contre des clients potentiels de l’Europe. Les États-Unis ont une attitude très belliqueuse.»

Mais comment justifier ces ingérences? L’auteur de La nouvelle guerre des mondes rappelle le caractère moralisateur et puritain qui façonne la politique étrangère à la Maison-Blanche. La présidence Bush junior en fut l’exemple, avec l’apparition de termes en diplomatie tels qu’«États voyous» et «Axe du Mal».

«Les États-Unis ayant une vision messianique de leurs valeurs, de leur vision du monde, ils pensent qu’il faut l’imposer. C’est le mythe de la paix démocratique, c’est-à-dire que si on oblige les États à adhérer aux principes que véhicule l’idéologie occidentale et américaine, miraculeusement la paix va apparaître […], on va changer le régime de force pour obliger les gens à adhérer à ce système et ça va apporter une paix miraculeuse. On a vu ce qui s’est passé en Irak. Cette politique provoque partout le chaos, partout la violence parce que c’est une intrusion […], c’est une volonté de formater le monde conformément à leur vision.»

Ainsi, les États-Unis pratiqueraient-ils des guerres dites de «quatrième génération», selon Michel Geoffroy qui désigne là les conflits contemporains, où les distinctions entre guerre et politique, et donc entre combattants et civils, disparaissent. Après les chocs de troupes en ligne et colonnes de l’antiquité de la première génération, après que les armes à feu firent leur apparition avec une deuxième génération, et enfin après les guerres de vitesse de la troisième génération, les conflits semblent désormais d’un nouveau type. Longs, complexes et asymétriques, leurs victimes civiles sont nombreuses. Tous les moyens de pression, militaires bien sûr, mais aussi économiques et sociaux, sont alors utilisés.

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Un concept qui serait par exemple appliqué au Venezuela à l’heure actuelle. Michel Geoffroy évoque dans ce cadre une  «offensive économique» avec le blocus du pays, puis une «offensive diplomatique» pour isoler le pays, puis une «offensive médiatique». Même un Président autoproclamé, en la personne de Juan Guaido, a été reconnu par les chancelleries occidentales pour neutraliser le pouvoir de Nicolas Maduro: «C’est une nouvelle forme de guerre totale, à l’âge médiatique, à l’âge électronique.» Reste encore à compter ses victimes.

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